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cipe, avec l’auréole de la jeunesse et de la force, avec l’avenir devant lui, et le prestige de celui qui s’est conquis, à lui seul, sa place, sans appui, sans père, sans exemples, n’ayant pour base que sa conscience et que sa foi. En même temps Paris saluait sa jeune maîtrise et, dans les lettres françaises, une place d’exception se préparait pour ce robuste autochtone.

Je tiens à rattacher à cette première période de son art un livre paru plus tard, mais qui fut écrit en 1885. C’est le recueil de nouvelles intitulé Ceux de la Glèbe et dédié aux « gens de la Terre ». Peu de livres se marquent plus authentiquement sortis de lui. Son art truculent, pittoresque, chaud, coloré, vraiment jordaenien, est ici superbement représenté dans sa gamme presque entière, depuis la religieuse gravité du ton de la Genèse jusqu’à la farce épique de Les Pidoux et les Colasse et à la savoureuse goguenardise des Concubins. La splendeur exubérante de la langue, le sentiment des fatalités cosmiques et des irrépressibles instincts, le parallélisme ressenti de la terre et du terrien, le souffle puissant de bestialité manifestés en ce recueil, caractérisent à merveille le panthéiste subconscient qu’a été Lemonnier, à cette glorieuse période de jeunesse de son art. Jamais il ne se prouva davantage un instinctif, servi par une forme fastueuse.


Pour un certain public, d’esprit simpliste, Camille Lemonnier, procréateur d’environ soixante volumes, dont vingt-cinq romans, est demeuré « l’auteur du Mâle ». Parallèlement on trouve, chez de plus compréhensifs admirateurs du maître, ceux qu’enchante la floraison d’œuvres parues depuis 1897 — et je suis de ceux-là — un peu juste penchant à sacrifier, peut-être parce qu’on ne les connaît pas