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Jusque-là Camille Lemonnier était demeuré, dans son effort d’art, un solitaire, pour la raison péremptoire qu’il n’existait pas, à proprement parler, d’écrivains belges, depuis la mort d’Octave Pirmez et de Charles de Coster. Il était, selon ses propres paroles, « perdu au désert, avec une voix qui voulait se faire entendre et n’était point entendue, avec un cœur qui s’était mesuré à la force de ses battements et qui battait dans le vide ». Parmi les peintres seuls il avait noué des amitiés puissantes. Une circonstance vint prouver qu’au cours des années dernières, peu à peu des disciples et des émules avaient jailli de cette terre belge, longtemps stérile, et que son effort venait de féconder. Le grand prix quinquennal de littérature avait été refusé par le jury officiel à l’auteur du Mâle. Une protestation s’éleva aussitôt, groupant une petite phalange d’écrivains novateurs qui, le 27 mai 1883, offrirent au jeune maître, méprisé par un jury de bureaucrates, un banquet de réparation et d’enthousiaste sympathie. Ce fut la Pâques des lettres belges ressuscitées. Ce banquet, qui fit grand bruit à l’époque, affirmait au public somnolent et sceptique que la littérature était désormais une force en Belgique et que des esprits résolus étaient déterminés à la faire respecter. Il devait rester célèbre dans les fastes littéraires, sous le nom de banquet du Mâle.

À ce moment Camille Lemonnier apparaît bien le chef et le père. Il avait été l’éveilleur, l’homme providentiel qui, du rameau de son art, avait touché au front les endormis. Comme l’affirme énergiquement Edmond Picard, « il symbolyse (seul peut-être) l’activité littéraire belge de langue française dans son ensemble. Il en a été le centre, le tronc, la quille, l’épine dorsale, la ligne axiale : de lui, sur lui, presque tout est sorti ou s’est appuyé directement ou indirectement. » Quelles que furent ses victoires futures, jamais il n’apparut aussi clairement qu’alors le maître et le prin-