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Au matin de sa vie, le poète, évoquant du fond du passé, telle éclatante vision, concluait, à la façon d’un Rodenbach :

Mon rêve, enfermons-nous dans ces choses lointaines
Comme en de tragiques tombeaux…


Et voici le même homme qui, après avoir exalté sa race, tourné jusqu’aux confins de la démence dans les cercles abysmiques de son moi, erré par les villes et les campagnes en halluciné, couru librement le monde, vécu l’amour, sondé l’art et goûté les fortes joies de la camaraderie, après avoir souffert, rêvé et appris, est parvenu aux fixes clartés de l’heure présente et proclame sa croyance sous l’inspiration du dieu nouveau qu’il a reconnu identique en lui-même et dans l’être de chaque vivant, — voici le chantre ancien de la détresse et du désespoir, devenu, avec la même entièreté d’exaltation, le barde de la joie totale…

Je suis ivre du monde et je me multiplie

Si fort en tout ce qui rayonne et m’éblouit

Que mon cœur en défaille, et se délivre en cris.