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mique et parfaite vision. Ne lui parlez pas règles, il vous répondrait individu. Et vous ne pourriez parvenir à vous entendre. Car on ne concilie que par des sophismes Racine et Shakespeare c’est-à-dire l’art selon la formule — d’un groupe humain pendant un siècle ou deux — et l’art tout court, immensément libre et « désordonné ». Verhaeren, parmi les charmeurs et les musiciens, n’a guère qu’une ressource, — assez peu commune, n’est-il pas vrai ? — dont il use à tout instant, sans craindre de l’épuiser, car il en est gonflé : c’est la force. Un fleuve de force s’épand d’entre les blocs de son art. Car il bâtit à blocs tirés à moitié bruts de la carrière, non à l’aide de cailloutis ou de briques uniformes : ce qui donne à son poème une insolite apparence de monument pélasgique, égaré parmi des temples gréco-romains.

Le poète des Forces Tumultueuses s’affirme un grand gothique, de la lignée des prodigieux anonymes qui sculptèrent aux flancs des cathédrales les chimères, les gargouilles et les lémures et toute la flore des torsions humaines.

C’est un tourmenté, dont l’art suggère des impressions volcaniques ou cycloniques. Des grondements le secouent qui paraissent sortir des profondeurs de la terre orageusement. Une strophe de lui est une décharge d’électricité humaine. Son art est le plus subjectif qui se puisse concevoir. Il est empli d’infini et se distingue par un sentiment exalté et surhumain. Comme celui de Rembrandt il est fait de matière et de féerie broyés en-