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extrêmement à compiler tout ce qui sent le miracle. Tite-Live nous en fournit une forte preuve, car quoique ce fut un homme de grand sens et d’un génie fort élevé et qu’il nous ait laissé une Histoire fort approchante de la perfection, il est tombé néanmoins dans le défaut de nous laisser une compilation insupportable de tous les prodiges ridicules que la superstition Païenne croyait qui devaient étre expiés, ce qui fut cause, à ce que disent [1] quelques-uns, que ses ouvrages furent condamnés au feu par le Pape St Grégoire. Quel désordre ne voit-on pas dans ces grands et immenses Volumes, qui contiennent les Annales de tous les différents Ordres de nos Moines, où il semble qu’on ait pris plaisir d’entasser sans jugement et par la seule envie de satisfaire l’émulation ou plutôt la jalousie, que ces Sociétés ont les unes contre les autres, tout ce que l’on peut concevoir de miracles chimériques ? Ce qui soit dit entre nous, Monsieur, car vous savez bien que pour ne pas scandaliser le Peuple, ni irriter ces bons Pères, il ne faut pas publier les défauts de leurs Annales, nous contentant de ne les point lire.

Je m’étonne [2] que ceux qui nous parlent tant de la sympathie qu’il y a entre la Poésie et l’Histoire, qui nous assurent sur la foi de Cicéron et de Quintilien que l’Histoire est une Poésie libre de la servitude de la versification, et sur le témoignage de Lucien que le vaisseau de l’Histoire sera pesant et sans mouvement, si le vent de la Poésie ne remplit ses voiles ; qui nous disent qu’il faut étre Poète pour être Historien et que la

  1. Voy. Vossius : De Hùtor. Iatir., p. 98.
  2. Le P. Le Moine : Discours de l’Histoire, chap. 1.