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Mais je ne puis goûter qu’un Docteur qui n’a rien à persuader au Peuple et qui ne doit nourrir son esprit que de raison toute pure, ait en ceci des sentiments si mal soutenus et se paye de tradition et de passages des Poètes et des Historiens.

IV De l’autorité des Poètes.

Il n’est pas possible d’avoir un plus méchant fondement. Car, pour commencer par les Poètes, vous n’ignorez pas, Monsieur, qu’ils sont si entêtés de parsemer leurs Ouvrages de plusieurs descriptions pompeuses, comme sont celles des prodiges et de donner du merveilleux aux aventures de leurs Héros, que pour arriver à leurs fins ils supposent mille choses étonnantes. Ainsi bien loin de croire sur leur parole que le bouleversement de la République Romaine ait été l’effet de deux ou trois Comètes, je ne croirais pas seulement, si d’autres qu’eux ne le disaient, qu’il en ait paru en ce temps là. Car enfin il faut s’imaginer qu’un homme qui s’est mis dans l’esprit de faire un poème s’est emparé de toute la Nature en même temps. Le Ciel et la Terre n’agissent plus que par son ordre ; il arrive des Éclipses ou des Naufrages si bon lui semble ; tous les Éléments se remuent selon qu’il le trouve à propos. On voit des armées dans l’air et des Monstres sur la terre tout autant qu’il en veut ; les Anges et les Démons paraissent toutes les fois qu’il l’ordonne ; les Dieux mêmes montés sur des machines se tiennent prêts pour fournir à ses besoins et comme, sur toutes choses, il lui faut des Comètes à cause du préjugé où l’on est à leur égard, s’il s’en trouve de toutes faites dans l’Histoire, il s’en saisit