de sagesse, prétend que c’est une preuve que les grands hommes peuvent naître sous un air grossier et dans le pays des sots :
Cujus prudentia monstrat
Summos posse viros, et magna exempla daturos
Vervecum in patriâ, crassoque sub aere nasci[1].
Martial n’a guère juge plus avantageusement
des Abdérites, quand il a
dit :
Si patiens, fortisque tibi, durusque videtur,
Abderitanæ pectora plebis habes[2].
Vigénère s’abuse grossièrement sur ce
passage ; il le croit adressé au criminel
qui représenta sur le théâtre l’action
de Mutius Scévola en mettant la
main dans le feu[3] ; mais il s’adresse
à ceux qui seraient si dupes, qu’ils
prendraient cela pour un acte de constance,
vu que ce criminel ne l’avait
fait que pour s’exempter d’être brûlé
vif.
Nam cùm dicatur tunicâ præsente molestâ
Uremanum, plus est dicere, non facio[4].
Isaac Vossius, qui était quelquefois assez
singulier dans ses pensées, a fait
pour les Abdérites une apologie d’un
tour nouveau. Il avoue que plusieurs
d’entre eux naissaient ou devenaient
fous ; mais il prétend que ce n’était
pas une marque de stupidité, vu que
la folie ne s’attaque pas à des lourdauds
et à des stupides qui n’ont rien
à perdre, et qu’elle s’empare très-souvent
des plus grands esprits[5]. Et
quant à ce qu’Hippocrate a fait mention
de plusieurs Abdéritains dont la
fièvre avait été accompagnée de délire
[6], M. Vossius prétend que ce
n’est point de là qu’est né le proverbe
qui décriait cette ville ; mais plutôt de
la passion agréable qui succédait à
leur fièvre. Ex affectu jucundissimo,
qui ipsorum febribus succedere solebat,
ut testatur Lucianus scripto de
Conscribendâ Historiâ[7], ils devenaient
passionnés pour les vers et pour
la musique, et ils faisaient les comédiens
dans les rues. Une folie comme
celle-là, dit-il, ne tombe point sur
des gens grossiers et flegmatiques :
Tam elegans insania non cadit in crassos
et pituitosos, nedùm in vervecea capita.
Cet auteur aurait dû se souvenir
de la maxime d’Aristote, qu’une hirondelle
ne fait pas le printemps. Pourquoi
tourne-t-il en coutume et en habitude
une suite de fièvre qui n’arriva
qu’une fois ? Ce qu’il cite de Lucien
est un fait unique qui ne fonde point
de tels proverbes. Je dirai en passant
qu’Érasme n’a pas bien pris la pensée
de Cicéron[8] ; car on doit inférer
des paroles de ce Romain, non pas
que les habitans d’Abdère fussent stupides,
mais que, par un grand égarement
d’imagination, ils donnaient
dans des paradoxes incroyables et insoutenables.
Abderitanis naturâ peculiarerm
fuisse mentis stuporem indicat
M. Tull. in libris de Naturâ Deorum,
c’est ce que dit Érasme[9]. De fort
habiles gens[10] citent cela comme
le propre texte de Cicéron, tant il est
vrai que les recueils de nous autres
gens de lettres tiennent du naturel de
la renommée ; ils acquièrent de nouveaux
traits en changeant de place
[11]. Ceux qui prétendent que le
terme d’Αϐδηρολόγος, qui se trouve
proverbialement dans le discours de
Tatien contre les Grecs, signifie un
conteur de sornettes, un donneur de
billevesées, ne confirment point l’accusation
de stupidité que l’on intentait
aux Abdérites : un niais, un sot,
un butor, en donnent pas à garder
aux gens. Outre que Tatien applique
son mot aux doctrines de Démocrite,
qui sans doute n’étaient pas les rêveries
d’un gros animal.
(H) La maladie qui régna pendant quelques mois dans Abdère. ] Lucien, qui en a décrit les symptômes, a prétendu en trouver la cause dans ce que je m’en vais dire. Archélaüs, bon comédien, avait joué l’Andromède d’Euripide devant les Abdéritains, au milieu d’un été fort chaud, plusieurs sor-
- ↑ Juvenal. Satir. X, vers. 49.
- ↑ Martial. Epigr. XXV, lib. X.
- ↑ Vigénère, Annot. sur le Sépulcre d’Abdère, de Philostrate.
- ↑ Martial. Epigr, XXV, lib. X.
- ↑ Isaac. Vossius in Pompon. Melam, p. 135.
- ↑ Hippocr. lib. III, de Morb. vulgar.
- ↑ Is. Vossius, in Pomp. Melam, p. 135.
- ↑ Celle qui est au Ier. livre de Naturâ Deorum.
- ↑ Adagior. chil. IV, centur. VI, num. 27.
- ↑ Cicero, de Naturâ Deorum, Abderitanos stupori mentis obnoxios scribit. Laur. Begerus, Observ. in Numism. quæd. pag. 16. Voyez aussi Lloyd et Hoffmann, au mot Abdera
- ↑ Mobilitate viget, viresque acquirit cundo.
Virgil. Æn., lib. IV, vers 175.