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ABDÈRE.

rait appeler en quelque manière auto da fé ; car c’était sans doute un acte de religion. On dévouait une personne, et puis on l’assommait à coups de pierres. Je crois qu’il n’y a qu’Ovide qui en parle ; il met cela entre les malédictions qu’il souhaite à son ennemi :

Aut te devoveat certis Abdera diebus,
Saxaque devotum grandine plura petant[a].


Les commentateurs sont muets sur ce passage. Il faut qu’on ne trouve pas l’origine ni les circonstances de cette cérémonie. Je dirai ailleurs[b] qu’il y avait dans Abdère un temple de Jason que Parménion fit détruire.

  1. Ovid. in Ibim, vers. 494.
  2. Dans l’article Jason.

(A) La sœur de Diomède l’ait bâtie. ] Il n’y a point d’homme qui puisse ajouter foi à M. Moréri sans être persuadé qu’Abdère, bâtie par les Téiens, a porté le nom de Diomède, qui en était roi, et que c’est Hérodote qui nous l’apprend. Or, ce n’est qu’un tas de mensonges : car, en premier lieu, ce qui regarde Diomède est un fait du temps poétique ; mais l’abandon de Téos par ses habitans, et leur retraite dans la Thrace, où ils bâtirent Abdère, est un fait du temps historique et qui se rapporte à la 59e. olympiade. C’est donc une étrange bévue que de joindre ces deux choses de telle manière, qu’on met le temps de la fable après celui de la vérité. Si vous voulez suivre Hérodote touchant la construction d’Abdère par les Téiens, ne nous allez plus parler de Diomède, qui, en cas qu’il ait jamais été, était mort depuis plusieurs siècles ; ou, si vous voulez parler de cet ancien roi de Thrace, avertissez-nous que vous rapportez une opinion différente de celle qui concerne les Téiens. En second lieu, Hérodote, quand il parle de la construction de cette ville, ne fait pas plus de mention de Diomède que du grand-turc. Enfin il n’est pas vrai qu’Abdère ait porté le nom de Diomède. Il fallait dire que, selon Solin, la sœur de Diomède l’avait bâtie et lui avait donné son nom, d’où M. de Saumaise a eu grand droit de conclure que cette sœur s’appelait Abdéra[1]. Il y a dans Goltzius une médaille où l’on voit une tête de femme, avec cette inscription ΑΒΔΗΡΑΣ ΚΟΡΑΣ [2]. Nos plus savans médaillistes la rapportent à la sœur de Diomède, fondatrice d’Abdère[3].

(B) On les chassa. ] Hérodote le dit expressément ὑτὸ θρηικῶν ἐξελαθεὶς, à Thracibus expulsus[4]. Nous verrons, dans la remarque suivante, une méprise de Pinedo sur ce sujet. Toutes les apparences veulent que les imprimeurs soient la seule cause de cette autre méprise, Thracibus ejectis, qui se voit dans la docte lettre de M. de Spanheim à M. Béger. Ils ont mis ejectis au lieu de ejectus.

(C) Un proverbe qu’Érasme n’a pas trop bien entendu. ] Voici le proverbe : Ἄβδηρα καλὴ Τηίων ἀποικία ; Abdère la belle colonie des Téiens. Cela veut dire, selon Érasme : Si vous me chagrinez trop, je sais bien où je me retirerai. Hoc ænisgmate proverbiali significamus, non deesse quò confugiamus, si quis præter modum pergat esse molestus [5]. Le Portugais Pinedo, contraint d’abandonner sa patrie, afin de se garantir des avanies de l’inquisition, adopte ce proverbe en ce sens-là ; mais il ajoute qu’il n’en prend pas toujours bien de faire ces sortes de retraites, et qu’il en parle par expérience. Quo (proverbio) significabatur non deesse quò confugiamus, si nobis contumeliæ inferantur, ut fecêre Teii : sed hoc non semper feliciter solet evenire : et doctus et expertus loquor[6]. S’il n’avait pas eu plus de raison de se plaindre que de dire, comme il fait dans la même page, que les Téiens avaient chassé le Clazoménien Timésius, qui commençait à bâtir Abdère, ses plaintes seraient les plus mal fondées du monde. Mais revenons à Érasme. Ce que j’ai à lui critiquer n’est

  1. Salmasii Exercitat. Plinianæ, page 160.
  2. Abderæ virginis ; κύρας doricè, pro κόρης.
  3. Spanhemii Epist. ad Laurent, Begerum.
  4. Herodot., lib. I, cap. CLXVIII.
  5. Erasmus, Adag., chiliade II, cent. IV, num. 53.
  6. Pinedo in Stephan. de Urbib., p. 5.