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ABDÈRE.

piade, ceux de Clazomène la rebâtirent, et lui firent porter le leur. Si l’on en croit Hérodote, ils ne firent qu’en jeter les fondemens, sous la conduite de Timésius [a] : on les chassa (B), on rendit nulle leur entreprise ; et ce sont les Téiens qui, à proprement parler, bâtirent Abdère, lorsque, se voyant près de tomber entre les mains d’Harpagus, lieutenant de Cyrus, ils aimèrent mieux abandonner leur patrie que de se voir sous la domination des barbares. Ils s’embarquèrent donc tous, et allèrent achever ce que Timésius n’avait fait que commencer [b]. Il en courut un proverbe [c] qu’Érasme n’a pas trop bien entendu (C). Je ne parle pas de l’opinion qui attribue à Hercule la fondation de cette ville (D) : il vaut mieux se souvenir de quelques singularités qu’on a débitées touchant Abdère. Les pâturages des environs avaient une telle force, qu’ils donnaient la rage aux chevaux[d]. Il y eut une si grande multitude de grenouilles et de rats dans cette ville[e], au temps de Cassander, roi de Macédoine, que les habitans furent contraints de se retirer ailleurs (E) ; mais il faut croire qu’ils y retournèrent bientôt (F), ou que d’autres allèrent occuper leur place. Les Abdérites ont été fort décriés du côté de l’esprit et du jugement (G) ; et néanmoins il est sorti beaucoup de grands hommes de leur ville : un Protagoras, un Démocrite, un Anaxarque, l’historien Hécatée, le poëte Nicænétus et plusieurs autres dont les catalogues des hommes illustres faisaient mention[f]. Rien n’est plus étrange que la maladie qui régna pendant quelques mois dans Abdère (H), du temps de Lysimachus [g]. C’était une fièvre chaude qui se dissipait au septième jour par quelque crise ; mais elle causait un tel trouble dans l’imagination des malades, qu’elle les convertissait en comédiens. Ils ne faisaient que réciter des morceaux de tragédie, et surtout de l’Andromède d’Euripide, comme s’ils eussent été sur le théâtre : de sorte qu’on voyait dans toutes les rues je ne sus combien de ces acteurs pâles et maigres qui faisaient des exclamations tragiques. Cela dura jusqu’à l’hiver suivant, qui fut fort froid, et par-là plus propre à faire cesser cette rêverie. M. Moréri rapporte très-mal ce fait (I). M. Béger[h], qui a publié ses conjectures sur une médaille des Abdérites (K), qu’il croyait avoir été frappée pour être un monument de cette fâcheuse maladie, a changé de sentiment lorsqu’il a vu la belle dissertation qui lui a été écrite sur ce sujet[i], où l’on trouve bien des choses concernant la ville d’Abdère. J’en rapporte quelques-unes dans la dernière remarque. Il se faisait à certains jours, dans cette ville, une espèce de cérémonie qu’on pour-

  1. Voyez son article.
  2. Herodot., lib. I, cap. CLXVIII.
  3. Strabo, lib. XIV, pag. 443.
  4. Plinius, lib. XXV, cap. VIII.
  5. Justin. lib. XV, cap. II.
  6. Πλεῖςοι δ᾽ Ἀϐδηρίται ὑπὸ τῶν πινακογράϕῶν ἀναγράϕονται. Plurimi autem Abderitæ exstitere, de quibus doctorum virorum indices commemorant. Stephanus Byzant., verbo Ἀϐδηρα.
  7. Lucian. Quomodò Histor. sit conscribenda, initio.
  8. Laurentius Begerus. Son livre a été imprimé à Berlin, in-4., l’an 1691.
  9. Par M. Ézéchiel Spanheim. Elle est imprimée avec le traité de M. Béger.