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ABDAS.

tres parties de l’Église ? Voilà ce que le zèle indiscret d’un simple particulier peut faire naître. À peine trente ans suffirent à la violence des persécuteurs[a]. Ceux qui ont supprimé cette raison du déchaînement des Perses ne sont pas excusables[b]. On peut leur intenter, dans la république des lettres, la même action que l’on intente dans le barreau à certaines réticences des vendeurs[c] ; et il serait à souhaiter que le public fût plus sévère qu’il ne l’est contre les historiens qui suppriment certaines choses. Il y en a si peu qui ne le fassent, qu’il serait désormais temps d’y remédier, si on le pouvait.

  1. Theodoreti Hist. Eccles., lib. V, cap. XXXIX.
  2. Voyez la remarque (C).
  3. Cùm ex duodecim tabulis satis esset ea præstari quæ essent linguâ nuncupata, quæ qui inficiatus esset dupli pœnam subiret, à jureconsultis etiam reticentiæ pœna est constituta. Quidquid enim esset in prædio vitii, id statuerunt, si venditor sciret, nisi nominatìm dictum esset, præstari oportere. Cicero, de Offic., lib. III, cap XVI. Voyez aussi Grotius de Jure Belli, lib. II. cap. VIII, num. 7, et Puffendorf de Jure Nat., lib. V, cap. III.

(A) Au roi. ] C’était Isdegerdes, si l’on s’en rapporte à Théodoret[1] ; mais, selon Socrate[2], la persécution ne commença que sous Vararanes, fils et successeur d’Isdegerdes. Baronius[3] n’ose décider lequel des deux a raison.

(B) À la merci de son clergé. ] J’appelle ainsi les mages, qui avaient, entre autres choses, le soin de la religion. C’étaient eux qui prenaient garde que l’on n’innovât rien sur ce point-là. Théodoret les compare à des tourbillons de vent qui soulèvent les îlots de la mer. Τριάκοντα διεληλυθότων ἐτῶν ἡ ζάλη μεμένηκεν, ὑπὸ τῶν μάγων καθάπερ ὑπό τινων καταιγίδων ῥιπιζομένη. Triginta jam elapsis annis permansit nihilominùs tempestas, à magis, tanquam quibusdam ventis ac turbinibus, suscitata[4]. Ce fut leur fonction dans la tempête qui agita si violemment l’église de Perse pendant trente ans. Socrate rapporte qu’ils se servirent de diverses impostures pour arrêter les progrès de la religion chrétienne, lorsqu’ils virent que l’amitié qu’Isdegerdes avait conçue pour le saint évêque Maruthas leur donnait lieu d’appréhender qu’il n’abandonnât leur religion[5]. Ils furent assez hardis pour cacher un homme sous terre, dans le temple où le roi allait adorer le feu, auquel homme ils donnèrent ordre de crier, quand le roi serait présent, qu’il fallait chasser ce prince, puisqu’il avait eu l’impiété de croire qu’un prêtre chrétien fût ami de Dieu. Si ce que les impies débitent très-faussement était véritable, savoir, que la religion n’est qu’une invention humaine, que les souverains ont établie afin de tenir les peuples sous le joug de l’obéissance ; ne faudrait-il pas avouer que les princes auraient été pris tous les princes dans le piége qu’ils auraient tendu ? car, bien loin que la religion les rende maîtres de leurs sujets, qu’au contraire elle les soumet à leurs peuples, en ce sens qu’ils sont obligés d’être, non pas de la religion qui leur paraît la meilleure, mais de celle de leur peuple ; et, s’ils en veulent avoir une qui soit différente de celle-là, leur couronne ne tient plus qu’à un filet. Voyez comment les mages de Perse menaçaient leur prince, quoiqu’il n’eût encore que caressé un évêque. N’a-t-on pas dit que le dernier roi de Siam avait été renversé du trône pour avoir été trop favorable aux missionnaires chrétiens [6] ? Le même Socrate, qui nous apprend les artifices que les mages employèrent pour traverser la propagation de l’Évangile, nous apprend aussi qu’après la mort d’Isdegerdes, ils inspirèrent à son fils un tel esprit de persécution, qu’on vit exercer contre le chrétiens une cruauté affreuse. Ils avaient tâché en vain d’inspirer le

  1. Theodereti Hist. Eccl., lib. VII, cap. XXXIX.
  2. Socratis Hist Eccl., lib. VII, cap. XVIII.
  3. Baronius, ad ann. 420.
  4. Theodereti Hist Eccl., lib. V, cap. XXXIX.
  5. Socratis Hist Eccl., lib. VII, cap. VIII.
  6. On écrit ceci en 1693.