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AMMONIUS.

ter un grand passage, est datée du 19 d’août 1520. Il semble donc qu’Ammonius ne soit point mort l’an 1517 ; car quelle apparence que Morus ait laissé passer trois années sans en rien dire à Érasme ? Je réponds que cette difficulté ne balance point les lettres où Érasme même a parlé de la mort d’Ammonius. Il remarque dans la lettre XXIVe. du IIe. livre, et dans la XXe. du IIIe. livre, toutes deux datées de l’an 1518, que cette année-là fut fatale aux hommes doctes, à Musurus, à Paleottus, à Faustus Andrelinus, à Ammonius. Dans la XXXIe. lettre du IIIe. livre, datée du 9 de septembre 1517, il parle de la mort d’Ammonius [1]. Cette lettre est bien datée ; car Érasme y fait mention du départ du roi d’Espagne comme d’une chose nouvelle. Or, on sait que ce monarque fit voile au commencement de septembre 1517. Disons donc que Baleus se trompe d’un an, lorsqu’il met la mort d’Ammonius à l’année 1518[2]. Érasme a pu dire en 1518 qu’on avait perdu cette année-là plusieurs grands hommes. L’une des lettres où il le dit est du mois de mars : il entendait par cette année les dix ou douze mois précédens. Ceci se confirme par une lettre de Bombasius [3], bien datée du 6 de décembre 1517, où l’on trouve que Musurus était mort à Rome pendant le dernier automne, et que Paleottus l’avait précédé de huit mois.

(F) Il envoyait à Érasme, à Cambridge, provision du meilleur vin. ] Les lettres réciproques de ces deux amis font souvent mention de l’envoi du vin ; mais voici un endroit bien propre à prouver qu’Érasme ne haïssait pas cette liqueur, et qu’il aimait mieux être dans un lieu pestiféré que boire de l’eau : Simul atque anglicum solum tetigi, ubi locorum esses rogare cœpi, siquidem Cantabrigiensem pestem fugere te scripsisti. Unus tandem Sixtinus mihi dixit te quidem Cantabrigiam ob pestem reliquisse, et concessisse nescio quò, ubi cùm vini penuriâ laborares, et eo carere gravius peste duceres, Cantabrigiam repetiisse atque inibi te nunc esse. O fortem Bassarei commilitonem, qui in summo periculo ducem deserere nolueris[4]. C’est ce qu’Ammonius lui écrivit.

(G) Il y a de l’hyperbole dans ce qu’il a dit qu’on brûlait tous les jours tant d’hérétiques[* 1], que cela avait enchéri le bois. ] Ces gens-là n’étaient ni de ces papistes ni de ces protestans qui couraient également risque d’être punis en Angleterre sous Henri VIII, depuis qu’il eut renoncé à la primatie du pape. C’étaient d’autres gens, puisque la lettre qui fait mention de ces supplices est datée du mois de novembre 1511. Les bûchers n’extirpaient point ces dévoyés. Lisez ceci : Lignorum pretium auctum esse non miror, multi quotidiè hæretici holocaustum nobis præbent, plures tamen succrescunt. Quin et frater germanus mei Thomæ, stipes veriùs quàm homo, sectam (si diis placet) et ipse instituit et discipulos habet[5].

  1. (*) C’étaient des restes des Wiclefites. Voyez Burnet, Hist. de la Réf. d’Angl. Rem. crit.
  1. Ammonii mortem acerbissimè fero. Erasmi Epistola XXXI libri III, pag. 198.
  2. Apud Simlerum, in Epitom. Gesneri.
  3. La XXIIe. du IIe. livre.
  4. [Ammonius, Epist. ad Erasm. inter Erasmian.] Epist. XL libri VIII.
  5. Ammonius, Epist. VIII libri VIII, inter Erasmianas, pag. 410.

AMMONIUS (Livinus)[a] se distingua parmi les chartreux de Flandre, non-seulement par le caractère de dom procureur, dont il se vit honoré à Gand, sa patrie, mais aussi par son savoir et par sa piété[b]. Érasme l’estimait beaucoup, et il paraît par deux lettres[c] qu’il lui écrivit, qu’il le tenait pour bien guéri des préjugés et des mauvaises passions des personnes de son rang (A). Ammonius lui avait fait confidence des chagrins qu’il endurait, et de la résolution qu’il avait prise de se soumettre à la dureté de sa condition. Il n’est pas malaisé de deviner qu’il eût souhaité plus de loisir pour cultiver son esprit et pour

  1. C’est ainsi qu’Érasme le nomme. Valère André dit Lævinus.
  2. Livinus Ammonius, vir eruditione juxtà ac pietate insignis. Erasmi Epistola XXIII libri XXVIII, pag. 1704.
  3. La XCIVe. du XXe. livre, et la XXe. du XXVe.