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AMMONIUS.

Érasme donne son jugement sur ce poëme dans une lettre[1] qu’on a datée du jour de Saint-Thomas 1510. C’est une preuve incontestable qu’on a quelquefois ajouté la date à ses lettres, sans nulle attention : on les a d’ailleurs mal rangées. La réponse précède quelquefois de plusieurs pages la lettre qui est le sujet de la réponse[2]

(C) Les conseils qu’Érasme lui donna sont très-conformes aux manières frauduleuses dont il faut se servir pour se pousser dans le monde. ] « N’ayez honte de rien, lui dit-il ; intriguez-vous dans les affaires de tout le monde ;

Coudoyez un chacun, point du tout de quartier[3] ;


débusquez qui vous pourrez ; réglez votre haine et votre amitié sur votre profit ; ne donnez qu’à ceux qui vous le rendront avec usure ; soyez complaisant envers tout le monde en toutes choses ; ayez deux cordes à votre arc ; apostez des gens qui vous recherchent ; menacez de quitter, et préparez-vous au départ ; montrez des lettres où l’on vous promette mille avantages ailleurs. » Principio perfrica frontem, ne quid usquàm pudeat. Deindè omnibus omnium negotiis te misce, protrude quemcunque potes cubito. Neminem nec ames nec oderis ex animo, sed omnia tuo compendio metiare. Ad hunc scopum omnis vitæ ratio spectet. Ne quid des nisi unde speres fœnus : assentare omnibus omnia. At ista vulgaria sunt, inquis. Age, quando ità vis, accipe peculiare consilium, sed heus in aurem. Nosti τὴν Βριτννικὴν ζηλοτυπίαν, hâc in tuum bonum abutere. Duabus sedeto sellis. Suborna diversos procos qui te ambiant. Minare et appara discessum. Ostende litteras quibus magnis pollicitis avocaris. Subducito te nunnunquàm, ut subtracta copia desiderium acuat[4]. Alciat se servait de cette ruse[5].

(D) Il mourut de la sueur anglaise. ] Consultez l’Histoire du divorce de Henri VIII, composée par M. le Grand, vous y trouverez ce que c’est que cette sorte de maladie. On la nommait « la suée ou le sutin, parce qu’on mourait en suant. Cette espèce de peste commença à se faire sentir pour la première fois en 1486. Auparavant, on ne la connaissait point. Tous les remèdes y étaient inutiles, et elle emporta beaucoup de monde avant que les médecins sussent de quelle manière il la fallait traiter. C’était un fléau dont Dieu ne voulait d’abord punir que les Anglais. En quelque lieu qu’ils fussent, ils en étaient attaqués, sans que les étrangers avec qui ils vivaient en fussent incommodés [6]. » Parmi les preuves que M. le Grand a produites[7], il y a des lettres de l’évêque de Bayonne, ambassadeur de France en Angleterre, qui parlent de ce mal. Anne de Boulen en fut attaquée : cet ambassadeur en fut attaqué aussi. Il y avait déjà quelque temps que ce mal tombait sur d’autres que sur des Anglais ; car notre Italien Ammonius en était mort l’an 1517, nonobstant l’espérance qu’il avait eue de s’en préserver par sa grande sobriété. Voici ce que Thomas Morus en écrivit à Érasme : In his, c’est-à-dire parmi le grand nombre de gens qui étaient morts (quod tibi quoque dolori esse doleo) Andreâ nostro Ammonio, in quo et litteræ et omnes boni magnam fecêre jacturam. Is valdè sibi videbatur adversùs contagionem victûs moderatione munitus : quâ factum putavit, ut quùm in nullum penè incideret cujus non tota familia laboraverat, neminem adhuc è suis id malum attigerit, id quod et mihi et multis prætereà jactavit non admodùm multis horis antequàm exstinctus est ; nam hoc sudore nemo nisi primo die perit. Ego uxorque ac liberi adhuc intacti, reliqua familia tota revaluit. Hoc tibi affirmo, minùs periculi in acie quàm in urbe esse[8].

(E) Il mourut l’an 1517. ] La lettre de Thomas Morus dont je viens de ci-

  1. C’est la XXe. du VIIIe. livre.
  2. Voyez l’article Carmilianus.
  3. C’est un vers de Molière, dans son Remercîment au roi. Voici tout le passage :

    Jetez-vous dans la foule, et tranchez du notable ;
    Coudoyez un chacun, point du tout de quartier,
    Pressez, poussez, faites le diable,
    Pour vous mettre le premier.

  4. Erasmi Epist. XIII libri VIII, p. 414.
  5. Voyez la remarque (D) de l’article Alciat.
  6. Le Grand, Histoir. du Divorce de Henri VIII, tom. I, pag. 94 ; il cite Godewin.
  7. Voyez le IIIe. tome de son Histoire du Divorce de Henri VIII, pag. 137, 152.
  8. Mori Epist. IV, lib. VII, inter Erasmianas, pag. 386.