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AMMONIUS.

collége de Saint-Thomas[a] ; car il n’avait pas assez d’argent pour louer une maison et tenir ménage. Il témoignait à Érasme qu’il se repentait d’avoir quitté Rome, et qu’il était peu content de l’état où il se voyait en Angleterre [b]. Les conseils qu’Érasme lui donna sont très-conformes aux manières frauduleuses dont il faut se servir pour se pousser dans le monde (C) : il faut croire qu’Érasme ne le faisait que pour plaisanter. Il fit des ïambes à sa louange, qui sont très-beaux, et qui témoignent qu’Ammonius avait mille perfections de corps et d’esprit[c]. Mais il ne faut pas compter beaucoup sur les éloges poétiques : la prose d’Érasme établira plus solidement dans nos remarques la gloire de son ami. La fortune diminua ses rigueurs pour Ammonius ; il devint secrétaire de Henri VIII[d], et il eut même un caractère public auprès de lui, de la part de Léon X[e]. S’il ne fût pas mort avant l’âge de quarante ans, il aurait pu monter davantage. Il était à l’armée l’an 1513[f], lorsque les Anglais gagnèrent la bataille des Éperons, et prirent Térouenne et Tournai. Il ne manqua pas de faire des vers sur ces victoires et sur celle qu’ils remportèrent contre Jacques IV, roi d’Écosse. Il mourut de la sueur anglaise (D), l’an 1517 (E). L’un des principaux services qu’il rendit à Érasme fut de lui envoyer de temps en temps à Cambridge, provision du meilleur vin (F). Il y a de l’hyperbole dans la lettre où il lui marque qu’on brûlait tous les jours tant d’hérétiques, que cela avait enchéri le bois (G).

  1. Idem, Epistolâ XXIII, pag. 424.
  2. Idem, Epistolâ XXV, pag. 426 ; Epist. XI, pag. 413.
  3. Idem, Epist. XXII, pag. 422.
  4. Balæus, apud Simlerum, Epist. Gesneri.
  5. Andreas Ammonius tuæ Sanctitatis apud Anglos Nuncius litteris significabit. Erasmus, Epist. VI libri II, pag. 104.
  6. Idem, Epist. XL libri VIII, p. 434.

(A) Il se serait apparemment avancé en Angleterre, s’il eût vecu plus longtemps. ] Ce ne sont pas mes conjectures, c’est le sentiment d’Érasme : Periit, dit-il[1], et apud Gallos Faustus, et apud Britannos Andreas Ammonius, quorum alter diù regnavit Lutetiæ, alter ad summam dignitatem emersurus erat, si vita diaturnior contigisset. Il en jugeait de la sorte, non-seulement lorsque la plaie était fraîche, c’est-à-dire, lorsque peu après la mort d’Ammonius l’affliction le poussait à le louer ; mais aussi lorsqu’un bon nombre d’années avait effacé les premières impressions du regret et de la douleur. Quàm multos, écrivait-il en l’année 1524[2] hìc ex vetere sodalitio desidero ! Primum Andream Ammonium Lucensem. Deum immortalem, quantâ ingenii dexteritate, quàm fideli memoriâ præditum ! Tum animus quàm erat excelsus, quàm alienus à livore, quàm alienus à sordibus ! Hunc et suis dotibus et omni principum applausu florentem maximis rebus destinatum, subita mors intercepit natu minorem annis quadraginta. Cujus equidem decessum non possum non dolere, quoties in mentem venit quàm mihi fuerit jucunda ejus familiaritas.

(B) C’est par ses vers latins qu’il mérite principalement d’être pris au rang des auteurs. ] L’abrégé de la Bibliothéque de Gesner nous donne ce catalogue des poésies d’Ammonius : Scotici Conflictûs Historia, lib. I ; Bucolica, seu Eclogæ, lib. I ; de Rebus nihili, lib. I ; Panegyricus quidam, lib. I : Epigrammata, lib. I ; Poëmata diversa, lib. I. On cite Balæus. Ce qu’on nomme Panegyricus quidam est un poëme sur les victoires que les Anglais remportèrent l’an 1513, à la journée des Éperons, à la prise de Térouenne, à la prise de Tournai, etc.

  1. Erasmi Epistola XXIV, lib. II, p. 132, scripta anno 1518
  2. Idem, Epist. V, lib. XXIII, p. 1210.