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AMMONIUS.

Porphyre à débiter qu’Ammonius était sorti du christianisme dès qu’il avait pu manier la philosophie. Il était connu pour chrétien parmi ses frères, et il témoigna sa foi par des écrits qui apparemment ne furent guère connus aux païens. Plotin se serait-il attaché pendant si long-temps à la discipline d’Ammonius, s’il l’eût cru ennemi de la religion dominante ? Les chrétiens n’étaient pas encore si considérés.

(F) On s’est trompé en disant qu’il enseignait à ses disciples les mystères de l’Évangile sous le sceau du secret. ] J’ai été étonné de trouver ici le père Labbe en flagrant délit. Idem Porphyrius, dit-il[1], in Vitâ Plotini, Platonicæ sectæ philosophi, narrat Ammonium religionis christianæ arcana discipulis suis sub silentii religione communicâsse, et Herennium, Origenem, atque Plotinum obstrinxisse ; cùmque Herennius primus eam fregisset, nec Origenem nec Plotinum promissis stetisse. Il y a là deux très-grandes fautes : premièrement, il n’est pas vrai qu’Ammonius ait fait jurer ses disciples qu’ils ne communiqueraient à personne ce qu’ils apprendraient de lui. En second lieu, il est faux que Porphyre parle d’autre chose que des dogmes de philosophie. Tout ce qu’il dit se peut réduire à ceci. Érennius, Origène et Plotin étaient convenus de ne point rendre publiques les choses qu’ils avaient ouï dire à Ammonius, et qui leur avaient paru d’un travail exquis et d’un raffinement singulier. Plotin garda sa parole ; mais Érennius, n’ayant pas gardé la sienne, fut bientôt imité par Origène. Ce n’est pas ici le lieu de montrer que cet Origène n’est pas celui qui a tant écrit et tant allégorisé l’Écriture ; mais, comme la plupart de mes lecteurs seront hors d’état d’avoir un Plotin à consulter, je rapporte ici ses propres paroles : Ἐρεννίῳ δὲ καὶ Ὠριγένει καὶ Πλωτίνῳ συνθηκῶν γεγονυιῶν μηδὴν ἐκκαλύπτειν τῶν Ἀμμωνίου δογμάτων ἃ δή ἐν ταῖς ἀκροάσεσιν αὐτοῖς ἀνεκεκάθαρτο, ἔμενε καὶ ὁ Πλωτῖνος, συνὼν μέν τισι τῶν προσιόντων· τηρῶν δε ἀνέκπυςα τὰ παρὰ τοῦ Ἀμμωνίου δόγματα. Ἐρεννίου δε πρώτου τὰς συνθηκὰς παραϐάντος, Ὠριγένης μὲν ἠκολούθει τῷ ϕθάσαντι Ἐρεννίῳ [2]. Cùm verò Érennius et Origenes et Plotinus olim inter se constituissent ne Ammonii dogmata ederent, quæ audita ab eo tanquam in primis purgata præcipuè comprobaverant ; Plotinus quidem stetit promissis, familiariter quidem nonnullos excipiens salutantes, instituta verò Ammonii secreta integraque conservans. Erennius autem primus pacta dissolvit, et Origenes anticipantem Erennium est deindè sequutus. Autre sujet d’étonnement : les deux fautes du père Labbe se trouvent dans Luc d’Holstein [3].

(G) On a confondu ses ouvrages de théologie avec ceux de quelques autres auteurs. ] Saint Jérôme met Ammonius au nombre des écrivains ecclésiastiques, et lui attribue, entre autres ouvrages, l’invention des canons évangéliques [4]. Il ajoute qu’Eusèbe s’est servi de ce modèle en faisant un pareil ouvrage. Si cela était vrai, Eusèbe serait un grand fourbe, puisque, dans une lettre[5] où il explique la nature et les usages de ses dix canons sur la concorde des Évangiles, il assure qu’il les a inventés à l’occasion d’un ouvrage d’Ammonius. Cet ouvrage est intitulé Monotessaron, ou Diatessaron. Voici comment il diffère des canons évangéliques. Ces canons ne sont que des indices des endroits des Évangiles qui sont contenus dans un, deux, trois ou quatre évangélistes, au lieu que l’Harmonie ou La Concorde d’Ammonius (c’est la même chose que le Diatessaron, ou Monotessaron) contenait le texte entier des quatre évangélistes dont Eusèbe s’était servi pour faire ses canons, qui se rapportaient à cette Concorde, et qui en étaient comme la table[6]. C’est donc une faute que de dire, comme fait M. Moréri, que les Canons Évangéliques et l’Harmonie de l’Évangile sont la même chose. Victor, évêque

  1. Labbe, de Script. Ecclesiastic., tom. I, p. 58.
  2. Porphyrius, in Vitâ Plotini.
  3. Lucas Holsten. de Vitâ et Scriptis Porphyrii, pag. 28.
  4. Hieronym. de Scriptor. Ecclesiast., cap. LV.
  5. Ad Carpinnum : elle est imprimée avec les dix canons de Consonantiâ quatuor Evangeliorum, à la tête du Nouveau Testament grec de Robert Étienne, édition de Paris, en 1550. Voyez le père Labbe, de Script. Eccles., tom. I, pag. 308, et pag. 58.
  6. Du Pin, Biblioth. des Auteurs Ecclésiast., tom. I, pag. 120, édition d’Amsterd.