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AMYRAUT.

lut que M. Amyraut lui en écrivît. On se donna l’honneur de lui en écrire deux fois : il répondit de sa propre main ; et depuis, toutes les fois qu’il lui fit réponse, il se servit à la vérité de la main d’un secrétaire, mais il signa proprio pugno.

(Q) Il témoigna en diverses occasions que l’obéissance des sujets était son dogme favori. ] Dans l’Apologie qu’il publia pour ceux de la religion, l’an 1647, il excuse le mieux qu’il peut leurs guerres civiles de France ; mais il déclare néanmoins, qu’il ne veut nullement entreprendre la défense de la prise des armes contre son prince, pour quelque cause que ce puisse être... : et qu’il a toujours cru qu’il convient beaucoup mieux à la nature de l’Évangile, et à la pratique de l’Église ancienne, de n’avoir recours à autres armes qu’à la patience, aux larmes et aux prières... [1]. Et à toutes les fois, dit-il [2], que je repasse les yeux de l’esprit sur l’histoire de nos pères, je ne puis que je ne regrette très-sensiblement qu’ils n’ayent couronné tant d’autres belles vertus, dont il nous ont laissé les exemples, de l’imitation des premiers chrétiens, en cette invincible patience qu’ils montrèrent sous les persécutions des empereurs. Un écrit latin[3], qu’il publia deux ans après, fait voir comment il soutint cette cause contre les plaintes d’un ministre de la Rochelle, qui aurait bien mieux fait de ne se pas reconnaître au livre de M. Amyraut, que de s’en formaliser. Le livre De la Souveraineté des rois, publié en 1650, à l’occasion de la mort tragique de Charles Ier., roi d’Angleterre, témoigne encore avec plus de force les sentimens de notre M. Amyraut, sur la prise d’armes des sujets contre leurs princes. Il n’y avait pas moyen de se taire, car on ne cessait d’imputer cette tragédie au parti presbytérien, et d’en tirer mille conséquences odieuses contre les protestans de France. M. Amyraut ne crut pas devoir laisser sans réponse l’injustice de ces reproches. Pendant les troubles de la dernière minorité, ce ministre inspira toujours aux peuples, par ses prédications, le parti de l’obéissance ; et lorsqu’on le consulta sur la manière dont on se devait conduire, il répondit qu’il n’y avait pas d’autre parti à prendre que de se tenir au gros de l’arbre. Apparemment, les personnes qui le consultèrent y allaient de bonne foi, et ne pénétraient pas l’artifice perpétuel qui règne dans ces sortes de confusions. Les rebelles ne manquent jamais de soutenir qu’ils ne veulent que remédier aux abus, et chasser d’auprès du maître les mauvais conseillers qui l’environnent. Il faut être bien simple pour donner dans ce panneau, et pour avoir besoin de consulter son directeur de conscience. La distinction du pape et du saint siége n’est pas un sophisme si grossier. Enfin M. Amyraut déchargea pleinement son cœur dans l’épître dédicatoire de sa Paraphrase latine des Psaumes. C’est là qu’il soutient et qu’il établit que, par les véritables principes du christianisme, les sujets ne doivent point prendre les armes contre leurs souverains. Il se déclara hautement pour ce qu’on nomme l’obéissance passive. Cet ouvrage fut dédié au roi d’Angleterre Charles II, peu après que ce prince fut remonté sur le trône. L’auteur avait fait connaissance, à Paris, avec un chapelain de ce même prince, l’an 1658. Deux ans après, il lui témoigna sa joie du rétablissement du roi, et le félicita de l’évêché de Durham. On lui fit réponse que le roi le remerciait. C’est ce qui encouragea M. Amyraut à lui dédier sa Paraphrase des Psaumes ; mais il ne le fit qu’après avoir su de l’évêque de Durham que ce monarque en serait bien aise.

(R) En ce qui regardait la conscience, il exhortait à désobéir. ] Cela parut lorsque le sénéchal de Saumur lui communiqua un arrêt du conseil d’état, qui ordonnait à ceux de la religion de tendre devant leurs maisons le jour de la Fête-Dieu. Il le lui communiqua la veille de cette fête, et le pria de donner ordre qu’on s’y conformât, de peur que la désobéissance ne fît soulever le peuple contre ceux de la religion. M. Amyraut lui répondit qu’au contraire il s’en allait exhorter ses ouailles à ne point tendre, et qu’il serait le premier à ne tendre

  1. Apologie pour ceux de la Religion, p. 75.
  2. Pag. 76.
  3. Intitulé, Adversùs Epistolæ Historicæ Criminationes Mosis Amyraldi Defensio.