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AMYRAUT.

mer l’an 1662. Son livre de la Vocation des pasteurs, parut en 1640. Il avait prêché sur cette matière devant M. le prince de Tarente, pendant la tenue d’un synode provincial dont il fut modérateur. Ce prince souhaita que ce sermon fût imprimé, et que la matière fût traitée plus amplement ; car c’était un grand lieu commun entre les mains des missionnaires. C’est pourquoi M. Amyraut ne se contenta pas de faire imprimer son sermon, il publia aussi un Traité complet sur cette importante controverse, et dédia le tout à M. le prince de Tarente. Sa Morale Chrétienne, en six volumes in-8°., dont le premier fut imprimé l’an 1652, est le fruit des conversations qu’il avait souvent avec M. de Villarnoul, seigneur d’un mérite extraordinaire, et l’un des plus savans gentilshommes de l’Europe, héritier, en cela aussi, de son aïeul maternel, M. du Plessis-Mornai. Il y a peu de matières sur quoi M. Amyraut n’ait écrit. Il a publié un Traité des Songes ; deux volumes sur le règne de mille ans, où il réfute un avocat de Paris, nommé M. de Launai, qui était un grand chiliaste[1] ; la Vie du brave la Noue, surnommé Bras-de-fer ; et plusieurs autres ouvrages, dont je ne parle pas, ou dont je parle dans le reste de cet article. Il monta même sur le Parnasse ; car il fit un poëme intitulé l’Apologie de saint Étienne à ses juges. On attaqua cet ouvrage du côté qui donnait le moins à craindre à certains égards, puisque ce ne furent point les poëtes qui s’élevèrent contre, et que ce furent les missionnaires. On prétendit que l’auteur avait parlé du Saint-Sacrement de l’autel avec la dernière irrévérence ; mais il publia un Écrit pour sa justification, duquel je ne puis rien dire de plus à propos que ce que M. Daillé en a dit. Écoutons-le donc : « Quant à l’Apologie de saint Étienne à ses juges, que vous[2] employez ensuite pour nous convaincre d’avoir maltraité votre sacrement, si vous, et ceux qui s’en sont si fort offensés, aviez daigné lire la lettre que l’auteur a fait imprimer pour se justifier, vous et eux n’en auriez pas cette mauvaise opinion, et peut-être même que vous vous étonneriez de l’illusion que les préjugés de votre passion ont causée dans votre esprit, lui faisant prendre, comme dites, contre votre transsubstantiation, des choses qui n’avaient été écrites que contre les extravagances de l’idolâtrie des païens[3]. »

(I) Le cardinal de Richelieu lui fit parler de son grand dessein de réunir les deux Églises. ] Le jésuite qui s’entretint là-dessus avec M. Amyraut s’appelait le père Audebert[* 1]. M. de Villeneuve, qui était alors lieutenant de roi à Saumur, les ayant fait dîner ensemble, et cela, avec tant de complaisance pour le ministre, qu’il lui donna le haut bout sur le jésuite, et qu’il n’y eut point pour le coup de Benedicite à sa table, fit en sorte que l’après-dînée ils se pussent entretenir en particulier. Il est vrai que M. Amyraut déclara qu’il ne pourrait s’empêcher de communiquer à ses collègues tout ce qui se passerait. Le jésuite débuta par avouer que le roi et son éminence l’envoyaient faire des propositions d’accommodement sur le fait de la religion ; et puis, étant entré en matière, il fit entendre qu’on sacrifierait au bien de la paix l’invocation des créatures, le purgatoire et le mérite des œuvres ; qu’on limiterait le pouvoir du pape, et que, si la cour de Rome refusait d’y consentir, on en prendrait occasion de créer un patriarche ; qu’on donnerait la coupe aux laïques, et qu’on pourrait même se relâcher sur d’autres choses, si l’on remarquait dans les protestans un véritable désir de paix et de réunion. Mais il déclara, lorsque M. Amyraut le mit sur les dogmes de l’eucharistie, qu’on ne prétendait pas y rien changer ; sur quoi l’autre lui répondit, qu’il n’y avait donc rien à faire. Leur conversation dura environ quatre heures. Le jésuite voulut exiger le

  1. * Leclerc prétend que cette conférence prétendue n’a pas même de vraisemblance. L’abbé Renaudot ayant qualifié de fausseté ce projet de réunion, Bayle (dans le n°. XXVII de sa Suite des Réflexions sur le prétendu Jugement du public. pag. 748 du tom. iv des œuvres diverses, 1727-1731), se couvre du Mémoire, qu’il a cité, d’Amyraut fils.
  1. Voyez M. Ancillon, aux pag. 129, 130 du premier tome de son Mélange critique de Littérature.
  2. Il s’adresse au père Adam.
  3. Daillé, Réplique aux deux livres d’Adam et de Cottiby, IIe. part., chap. XVII, p. 108.