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AMYRAUT.

excité de tempêtes contre un dogme qu’ils ont reconnu enfin innocent, et dont enfin le défenseur leur a paru un fidèle serviteur de Dieu, ne sont point morts sans s’être couverts de confusion, pour le moins au pied du trône de la Majesté divine, à la vue de cette prévention mortifiante, qui leur avait montré comme un dogme affreux une hypothèse où il n’y a nul venin. Voyez ce qui suit.

(F) Il y eut au synode d’Alençon des députés si ardens contre son hypothèse, qu’ils ne parlaient que de déposer. ] S’ils ont vécu encore trente ou quarante ans, je ne vois pas de quelle manière ils osaient regarder le monde ; car enfin, cette doctrine, qu’ils jugeaient digne des anathèmes les plus foudroyans, se trouva être celle des plus grands hommes qui servissent les églises réformées de France. Ce fut celle de M. Mestrezat, celle de M. le Faucheur, celle de M. Blondel, celle de M. Daillé, celle de M. Claude, celle de M. du Bosc. Il fallut que les particularistes reconnussent bientôt pour leurs frères, et pour de fidèles ministres de Jésus-Christ, les partisans de la grâce universelle ; et l’on a vu que les ministres réfugiés, qui ont signé un formulaire au synode de Rotterdam en l’année 1686, n’ont point été soumis à quelque déclaration qui donnât la moindre atteinte au système de M. Amyraut[1]. D’où venaient donc les vacarmes que l’on fit au commencement contre ce système ? D’où vint que la même doctrine passa d’abord pour un monstre, et puis pour une chose innocente ? Ne faut-il pas reconnaître là le doigt du péché originel, et l’influence de mille passions ténébreuses, qui doivent enfin produire, si l’on est du nombre des prédestinés, une salutaire et mortifiante humiliation ? Le pis est qu’on ne profite pas du passé : chaque génération fournit les mêmes symptômes, tantôt plus grands, tantôt plus petits ; car on peut bien dire très-souvent, lorsque l’on voit en campagne les factums, les dénonciations, les apologistes, les thèses,

Jamque faces et saxa volant[2],


et que les livres coup sur coup volent en foule de lieu en lieu : laissez-les faire : ils s’accorderont bien, et à peu de frais :

Hi motus animorum, atque hæc certamina tanta,
Pulveris exigui jactu compressa quiescent[3].


Mais on ne peut pas le dire toujours. Les choses sont quelquefois poussées à l’extrémité : Res in nervum erumpit.

(G) Le synode d’Anjou lui permit de publier une réponse aux trois volumes de M. Spanheim sur la Grâce universelle. ] Elle est intitulée Specimen Animadversionum in Exercitationes de Gratiâ universali, et fut imprimée à Saumur en 1648, in-4°. Il n’est pas vrai, comme on l’assure dans le Mélange critique, tome I, page 129, que M. Amyraut ait attaqué M. Spanheim, ni que son volume soit contre les thèses de M. Spanheim. Il est contre les trois volumes de celui-ci, qui fut l’agresseur. Voyez les Lettres de Sarrau, pages 83, 95, 108, édition d’Utrecht, en 1697.

(H) Il a publié un très-grand nombre de livres. ] Il publia en 1631 son Traité des Religions. Cinq ans après, il publia six sermons sur la nature, l’étendue, etc. de l’Évangile. Il en a publié plusieurs autres, en divers temps. Son livre de l’Élévation de la Foi et l’Abaissement de la raison, parut en 1641. La Défense de Calvin sur la doctrine de la réprobation absolue parut en latin la même année : et l’an 1644 en français. Il commença ses Paraphrases sur l’Écriture en 1644 : l’Épître aux Romains fut paraphrasée la première ; il continua par les autres épîtres, et finit par les Évangiles : mais il eut la même sagesse que Calvin, de ne toucher pas à l’Apocalypse. De peur que son nom n’empêchât les catholiques romains de lire ses paraphrases, il ne l’y mit pas. Il publia, en 1647, une Apologie pour ceux de la religion, un Traité du franc Arbitre, et un autre de Secessione ab Ecclesiâ Romanâ, deque Pace inter Evangelicos in negotio Religionis constituendâ. Il traita depuis plus amplement cette matière de la réunion des calvinistes et des luthériens, dans l’Irenicon qu’il fit impri-

  1. Voyez la remarque (M) de l’article Daillé.
  2. Virgil. Æn., lib. I, vs. 150.
  3. Virgil. Georg., lib. IV, vs. 86