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AMYRAUT.

Voilà ce que portent mes mémoires manuscrits. M. Amyraut ne débite point ce sujet de son ouvrage, mais un autre assez différent[1].

(E) Son écrit excita une espèce de guerre civile parmi les théologiens protestans de France. ] Cette dispute a été assez considérable pour devoir faire un bon morceau des Annales ecclésiastiques des protestans. Celui qui a publié en anglais un histoire très-curieuse de nos synodes de France [2] peut nous instruire des différens que le dogme de la grâce universelle y a excités. Ce serait médire, je pense, bien cruellement de ceux qui ont les premiers remué cette question, que de soutenir qu’ils n’auraient pas laissé de le faire, encore qu’ils eussent prévu tous les maux qui en devaient résulter : car où est l’utilité et le cui bono de ces disputes ? ne reste-t-il plus de difficultés, pourvu qu’on se serve de l’hypothèse de Cameron ? N’est-il pas vrai, au contraire, que jamais remède ne fut aussi palliatif que celui-là ? On a bien besoin d’autre chose, pour contenter la raison ; et si vous n’allez pas plus loin, autant vaut-il ne bouger de votre place : tenez-vous en repos dans le particularisme. Mais je veux que l’universalisme ait quelque avantage, et qu’il réponde mieux à certaines objections. Cela est-il capable de balancer tant de crimes spirituels, que les factions traînent après elles, tant de mauvais soupçons, tant de sinistres interprétations, tant de fausses imputations, tant de haines, tant d’injures, tant de libelles, tant d’autres désordres, qui viennent en foule à la suite d’un tel conflit théologique ? Si vous croyez que le particularisme damne les gens, vous faites bien de le réfuter quoi qu’il en coûte. Je dis la même chose à ceux qui prendraient l’universalisme pour une hérésie mortelle : mais puisque de part ni d’autre vous ne croyez pas réfuter une opinion pernicieuse, ne disputez qu’autant que vous le pouvez faire sans troubler le repos public, et taisez-vous dès que l’événement vous montre que vous divisez les familles, ou qu’il se forme deux partis. N’achevez pas de réveiller mille mauvaises passions, qu’il faut tenir enchaînées comme autant de bêtes féroces ; et malheur à vous, si vous êtes cause qu’elles brisent leurs fers. Grâce à Dieu, la guerre civile de la grâce universelle, et quelques autres encore, n’ont pas été dignes (il s’en faut beaucoup) de l’application que j’ai ouï faire de quelques vers aux disputes schismatiques. On comparait les préparatifs et les troupes auxiliaires des deux chefs à cette décoration de théâtre :

Aigles, vautours, serpens, griffons,
Hippocentaures et Typhons,
Des taureaux furieux dont la gueule béante
Eût transi de frayeur le grand cheval d’Atalante,
Un char que des dragons étincelans d’éclairs
Promenaient en sifflant par le vide des airs,
Démogorgon encore, à la triste figure,
Et l’Horreur et la Mort, s’y voyaient en peinture[3].


M. Amyraut eut la joie de se réconcilier avec ses plus ardens adversaires, et il ne fallut pas que les grands du monde se mêlassent toujours de la pacification. M. le prince de Tarente s’en était mêlé en 1649 : je ne sais pas si les parties lui donnèrent plus de peine que n’en donnent aux maréchaux de France les différens qui relèvent de leur ressort ; mais, quoi qu’il en soit, il vint à bout de son entreprise, et mieux peut-être que n’aurait fait un synode[4]. Pour ce qui est de la réconciliation avec M. du Moulin, ce fut M. de Langle, ministre de Rouen, qui la procura. Dès qu’il en eut fait la proposition, M. Amyraut y donna les mains avec joie, et offrit toutes les avances. Il écrivit une lettre le premier, et M. du Moulin lui répondit fort honnêtement. On publia ces lettres pour l’édification de l’Église. Elles sont datées de l’an 1655. M. Duaillé a inséré la réponse de M. du Moulin dans l’un de ses livres[5]. La raison et la charité nous portent à croire que ceux qui avaient tant crié, et tant

  1. Præfat. Speciminis Animadvers. de Gratiâ Universali.
  2. Joannes Quick, ministre à Londres : son livre, intitulé Synodicon in Galliâ reformatâ, a été imprimé en 1692, in-folio.
  3. Voyez la Vie d’Eschyle de M. Le Fèvre.
  4. Il accorda, dans le château de Thouars, le 16 d’octobre 1649. M. Amyraut avec M. de Champvernou, ministre de Taillebourg, et avec M. Vincent, ministre de la Rochelle. Voyez les Actes authentiques de David Blondel, pag. 85. Ce M. de Champvernou s’appelait Guillaume Rivet, et était frère d’André Rivet, professeur en théologie à Leide.
  5. Vindiciæ Apologiæ, etc., pag. 418.