Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/548

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
502
AMYOT.

les Mémoires de sa vie. Ainsi je ne réfute point par son silence ce que l’on conte de sa gueuserie, et de sa condition de laquais, et de son séjour à l’hôpital d’Orléans[1]. Il est vrai que je ne saurais accorder avec ce silence, l’endroit de son testament, où il lègue douze cents écus à cet hôpital [* 1], en reconnaissance de la charité qu’il y avait éprouvée[2]. On a observé que, dans ses Œuvres, il ne s’est jamais qualifié du titre de son pays, et que, pendant son bonheur, il a eu fort peu d’habitude avec sa patrie[3]. Il avait sans doute la faiblesse de regarder cette ville comme un rabat-joie, et de s’imaginer que ses relations avec Melun ne serviraient qu’à faire causer le monde sur la bassesse de sa naissance. J’ai lu néanmoins, qu’il avança quelques personnes de sa famille. Il est mort honoré de grands estats, et riche de plus de deux cent mille escus, sans infinis autres moyens qu’il avoit d’avancer ses parens, aucuns desquels se sentent de ses libéralitez[4].

(B) Il quitta Paris, pour aller à Bourges, avec le sieur Colin, qui possédait dans cette ville l’abbaye de Saint-Ambroise. ] Bullart, qui a suivi presque partout les Antiquités de Melun, s’en écarte ici, pour nous apprendre un fait assez inconnu : c’est qu’Amyot embrassa la profession religieuse dans l’abbaye de Saint-Ambroise de la ville de Bourges : mais que l’abbé le jugeant digne d’une vie plus éclatante que celle du cloistre, le fit connoistre au sieur de Sacy Bouchetel [5]. C’est dommage que l’on ne cite personne qui ait laissé par écrit une particularité si peu connue.

(C) François Ier. lui donna l’abbaye de Bellosane, que la mort de François Vatable venait de faire vaquer. ] Ceci est entièrement incompatible avec le narré de M. de Saint-Réal. Cet auteur veut que, sous le règne de Henri II, Amyot ait été encore dans l’obscurité d’une petite pédagogie chez un gentilhomme de ses amis, et que M. de l’Hôpital, qui ne le connaissait point, l’ait uniquement recommandé à cause d’une épigramme grecque qui avait été présentée à ce monarque[6]. Cela ne saurait n’être point faux, s’il est vrai, comme porte le manuscrit de la Vie d’Amyot, que ce docte personnage avait été plusieurs années professeur à Bourges, avant la mort de François Ier., et que ses ouvrages, présentés à ce monarque, avaient valu à leur auteur une fort bonne abbaye. Serait-il possible que M. de l’Hôpital n’eût pas connu un Français, dont le public avait vu en 1549, pour le plus tard[7], une traduction de l’Histoire Éthiopique d’Héliodore ? Qui nous a dit que le voyage de Henri II à Bourges ait été fait avant la première édition des Amours de Théagène ? Ajoutons que la Vie manuscrite d’Amyot le fait aller en Italie peu après la mort de François Ier. Accordez cela, si vous pouvez, avec l’abbé de Saint-Réal, qui le fait précepteur à Bourges, pendant le voyage de Henri II à cette ville.

(D) Morvillier l’envoya porter à Trente les lettres du roi au concile, en 1551. ] Il faut nécessairement redresser ici l’auteur qui me fournit cet article[8], quoiqu’il assure qu’il a puisé dans une Vie d’Amyot, commencée par lui-même, et achevée par son secrétaire. Nous avons une lettre d’Amyot, qui contient la relation de son voyage de Trente. Il écrivit peu de jours après ce voyage à M. de Morvillier, maître des requêtes. Or, bien loin de dire que M. de Morvillier, ambassadeur de France à Venise, l’eût envoyé porter les lettres du roi au concile, qu’il déclare expressément qu’il fut choisi pour cette affaire par le cardinal de Tournon, et par l’ambassadeur de Selve. C’est une preuve convaincante que Morvillier n’était pas alors ambassadeur à Venise : et cela paraît encore plus évidemment par la lettre d’Amyot ;

  1. * « Je doute de ce legs, dit Leclerc, sans pourtant le nier expressément. »
  1. Saint-Réal, de l’Usage de l’Histoire, p. 76.
  2. Là même, pag. 75.
  3. Roulliard, Antiquit. de Melun, p. 605.
  4. C’est la Popelinière qui dit cela, p. 259, de l’Idée de l’Histoire.
  5. Bullart, Académie des Sciences., tom. I, pag. 166.
  6. Saint-Réal, de l’Usage de l’Histoire, p. 80.
  7. Je parle ainsi, parce que du Verdier Vau-Privas marque une édition de 1549. Or cela ne prouve point qu’il n’y en ait point eu d’antérieure
  8. Sébastien Roulliard, Antiquit. de Melun.