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AMYOT.

Les choses que M. Varillas rapporte touchant Amyot sont pleines de faussetés (O). Il en faudra faire la critique : cela peut servir à débrouiller le chaos.

(A) Son père et sa mère... étaient de fort petite condition. ] Quelques-uns disent que le père d’Amyot était un courroyeur de Melun[1] : selon d’autres, il faisoit et vendoit des bourses et aiguillettes[2] ; enfin, selon d’autres, il était boucher. Je trouve trois bons auteurs pour cette dernière opinion, M. de Thou[3], Papyre Masson[4], et Brantome. On ne sera pas fâché, je m’assure, de voir ici les paroles du dernier un peu au long ; car elles contiennent une autre particularité, qui ne doit pas être ignorée, quand même elle serait fausse. Brantome, ayant rapporté que Charles IX, haranguant le parlement, dit d’une audace brave et menaçante : « C’est à vous autres d’obéir à mes ordonnances, sans disputer ni contester quelles elles sont ; car je sai mieux que vous ce qui est propre et convenable pour le bien et profit de mon royaume ; » ajoute : « N’ayant point encore de barbe au menton, il tint ces propos devant ces vieux et sages personnages, qui tous s’esmerveillèrent d’un si brave et grave langage, qui sentoit plus son généreux courage, que les leçons de M. Amiot son précepteur, qui l’avoit pourtant bien instruit, et qu’il aimoit fort, et lui avoit donné de bons et beaux bénéfices, et fait évêque de Lizieux[5], et l’appeloit toujours son maître : et se jouant quelquefois avec lui, reprochoit son avarice, et qu’il ne se nourrissoit que de langues de bœuf ; aussi étoit-il fils d’un boucher de Melun, et falloit bien qu’il mangeast de la viande qu’il avoit veu apprester à son père : osté cette avarice, c’était un grand et savant personnage en grec et latin, tesmoin les belles et éloquentes traductions qu’il a faites de Plutarque, qu’aucuns pourtant ses envieux ont voulu dire qu’il ne les avoit pas faites, mais un certain grand personnage et fort savant en grec, qui se trouva, par bon cas pour lui, prisonnier dans la conciergerie du palais de Paris, et en nécessité ; il le sceut-là, le retira et le prit à son service, et eux deux, en cachette, firent ces livres, et puis lui les mit en lumière en son nom : mais c’est une pure menterie, disoit-on, que les envieux lui ont prestée, car c’est lui seul qui les a faits ; et qui l’a connu, sondé son savoir et discouru avec lui, dira bien qu’il n’a rien emprunté d’ailleurs que du sien. Pour fin, il nourrit très-bien ce brave roi, et surtout fort catholiquement. » Si j’avais à mettre en doute les trois basses professions qu’on attribue au père de notre Amyot, ce ne serait point par la raison que son fils n’en a désigné aucune dans le manuscrit de sa vie : il s’est contenté de marquer qu’il était sorti d’un père et d’une mère qui avaient plus de vertu que de bien, parentibus honestis magis quàm copiosis [6]. Cette raison-là ne me frappe point ; car il y a peu de grands hommes issus de bas lieu, qui ne soient bien aisés de passer légèrement sur l’obscurité de leur naissance : le détail les importune sur ce sujet. Ils vous avoueront en général, tant qu’il vous plaira, qu’ils n’étaient pas d’une condition relevée ; mais n’attendez pas qu’ils vous donnent des mémoires où vous puissiez lire que leur père était boucher, savetier, vendeur d’aiguilles ou d’allumettes, qu’ils ont demandé l’aumône dans leur enfance, etc. Ceux qui avouent de semblables faits, et qui veulent bien qu’on les place dans leur éloge, sont si rares, qu’encore qu’il fût vrai qu’Amyot gueusa quelque temps par les rues de Paris, je ne m’étonnerais pas qu’il n’eût point chargé de cela

  1. Saint-Réal, de l’Usage de l’Histoire, p. 74.
  2. Roulliard, Antiquités de Melun, p. 605.
  3. Thuanus, Histor. lib. C, ad ann. 1591, pag. 405.
  4. Lanii filius erat, Meloduno oppido ortus, vir excellenti ingenio, latinè que et græcè doctissimus. Carolus Magistrum eum appellabat, inter jocos avaritiam objiciens et sordes, quòd linguis bubulis uteretur. Papyr. Masso, in Histor. Vitæ Caroli IX.
  5. Il se trompe ; il fallait dire Auxerre, et non Lisieux.
  6. Roulliard, Hist. de l’Antiquit. de Melun, pag. 605.