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AMÉLIUS.

Toscane. Son vrai nom était Gentilianus, et il aurait mieux le surnom d’Amérius que celui d’Amélius. Il fut disciple de Plotin à Rome, pendant vingt-quatre ans ; après quoi il se retira dans Apamée, ville de Syrie. Il y était quand Plotin mourut. Il adopta un certain Justin Hésychius, natif de la même ville[a]. Voilà sans doute les sources du mensonge que Suidas a débité, quand il a dit qu’Amélius était d’Apamée. Il ne se trompe guère moins quand il assure que Porphyre fut disciple d’Amélius (A). Ce qu’il y a de certain est qu’Amélius fut fort estimé de son maître, et qu’il répondit à cette estime par une singulière vénération pour Plotin. Lorsqu’il commença d’étudier sous ce fameux philosophe, il ne savait que ce qu’il avait appris d’un certain Lysimachus[b] ; mais, par son application au travail, il devança tous ses condisciples. Il savait par cœur une partie des leçons de Numénius. Il les avait ramassées et copiées presque toutes. Il faisait aussi de gros recueils de tout ce qu’il entendait dans les conférences de philosophie ; et il composa de ces recueils une centaine de Traités qu’il donna à son fils adoptif. Il n’avait encore osé produire que cela, lorsque Porphyre vint à Rome[c], c’est-à-dire, après avoir profité des instructions de Plotin pendant l’espace de dix-huit ans. Depuis il composa XL livres contre Zostrianus, l’un de ces anciens hérétiques, tant en philosophie qu’en religion, qui faisaient un si horrible mélange des doctrines de l’Évangile et de celles des philosophes. Il s’éleva un grand nombre de ces hérétiques au temps de Plotin ; et c’est ce qui l’obligea d’armer contre eux. Il prit sur lui la défaite des gnostiques, pendant qu’Amélius combattrait contre Zostrianus, et que Porphyre attaquerait les prétendues révélations de Zoroastre. Après cela, Amélius ayant ouï dire que l’on accusait Plotin de s’être paré des dépouilles de Numénius, prit la plume pour justifier son maître ; et dans trois jours il composa un ouvrage qu’il dédia à Porphyre, et auquel celui-ci donna pour titre, De la différence qui se trouve entre la doctrine de Numénius et celle de Plotin. Ce que je vais dire suffit à faire connaître l’estime que Plotin avait pour Amélius. Comme Plotin se souciait peu d’étaler ses forces, il laissait des doutes dans l’esprit de ses auditeurs, et il avait en quelque façon besoin d’être forcé à montrer le meilleur de sa doctrine. C’est ce qui fit que Porphyre lui proposa par écrit plusieurs objections, pour prouver que nos idées sont hors de notre entendement[d]. Voilà ce que le père Mallebranche a renouvelé de nos jours. Plotin ayant lu ces objections les donna à réfuter à Amélius. L’opposant répliqua : Amélius dupliqua ; et enfin Porphyre comprenant la doctrine de Plotin, y donna les mains, et lut

  1. Porphyrius in Vitâ Plotini.
  2. C’était un philosophe stoïcien.
  3. En 263.
  4. Διὸ καὶ ἀντιγράψας προσήγαγον δεικνῦναι πειρώμενος, ότι ἔξω τοῦ νου ὔϕεςηκε τὸ νόημα. Quapropter eum contrà scribendo provocare tentavi, conatus ostendere ea quæ intelliguntur extrà intellectum esse. Porphyr. in Vitâ Plotini.