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ALES.

bourg ont dû nommément stipuler la conservation de ce privilége, lorsqu’ils ont capitulé avec la France, et lorsqu’après la paix de Ryswyck ils ont demandé le renouvellement de leur capitulation[1]. Je sais bien que par leur prérogative ils ne croient point faire mentir cet axiome certain et incontestable de l’antiquité :

........Nullâ reparabilis arte
Lœsa pudicitia est ; deperit illa semel.

Ils ne prétendent point rétablir, physiquement parlant, la virginité perdue : ce serait combattre le vrai sens de l’axiome ; mais, moralement parlant, ils prétendent la restituer, puisqu’ils prennent sous leur protection la renommée d’une malhonnête fille, et qu’ils la mettent à couvert de la médisance, de sorte qu’elle peut aller partout la tête levée, aussi sûrement qu’une honnête fille. On dit même que l’efficace de leur sentence est telle, que les filles qui ont eu des enfans, et qui en payant l’amende ont obtenu la réhabilitation, trouvent un mari aussi aisément, et presque aussi avantageusement, que si elles n’avaient point fait cette faute. Mais j’attribuerais plutôt cela au peu de délicatesse des hommes qui les épousent, qu’à leur persuasion de l’efficace de la sentence[2]. Quoi qu’il en soit, nous pourrions dire à ceux qui supposent que le paiement d’une amende répare les crimes de cette nature, ce que l’on a dit à ceux qui s’imaginaient qu’un peu d’eau claire effaçait la tache d’un homicide :

Ah ! nimiùm faciles, qui tristia crimina cœdis
Flumineâ tolli passe putatis aquâ[3].

Ce même honnête homme m’assura que ce qu’il savait très-certainement des coutumes de Strasbourg, il l’avait aussi ouï dire touchant plusieurs autres endroits de l’Allemagne. De telles lois eussent mis bien en colère le théologien dont je fais ici l’article ; car tant s’en faut que ce soit punir la fornication, que c’est en quelque manière la récompenser, vu que l’avantage de se produire partout, sans la crainte d’aucun reproche ni d’aucune médisance, est un bien qui surpasse de beaucoup le préjudice de l’amende que l’on a payée, qui n’est pas quelquefois la moitié du gain que l’on a fait en s’abandonnant.

J’ai ouï dire à des personnes bien judicieuses, que l’usage d’une infinité de pays est plutôt une récompense qu’une peine de la fornication. Cet usage est que ceux qui se reconnaissent les pères d’un bâtard soient condamnés à le nourrir, et à donner à la mère quelque somme de deniers. L’ordre de pourvoir à la nourriture de l’enfant ne peut point passer pour une peine, puisque le droit naturel a établi clairement cette obligation. On ne peut donc compter pour peine que l’argent qui est donné à la fille : mais, outre que c’est un châtiment fort léger à l’égard du père, c’est à proprement parler une récompense à l’égard de la mère. « Or, c’est une chose bien étrange, disaient ces messieurs-là, que des tribunaux chrétiens adjugent des récompenses à des filles, pour avoir perdu leur honneur en scandalisant le public. » Quelqu’un leur répliqua, que la perte qu’elles avaient faite, qui leur rendait à l’avenir plus difficile la rencontre d’un mari, demandait comme un acte de justice qu’on leur procurât quelque dédommagement. « Non, répondirent-ils, ce n’est point un acte de justice, c’est une faveur, c’est une grâce : la justice ne demande pas que des personnes qui ont souffert du dommage par la transgression volontaire des lois de Dieu et des lois de l’honneur humain clairement connues, obtiennent un dédommagement ; et si le souverain voulait répandre des grâces, il devrait choisir des sujets plus dignes. Obligerait-on les hommes à récompenser une fille, qui, en commettant un vol pour l’amour d’eux, et à leur instigation, se serait estropiée, ou d’un bras, ou d’une jambe ? Tant s’en faut qu’un juge lui fît obtenir quelque gratification qui réparât le dommage qu’elle aurait souffert, qu’il la condamnerait à des peines corporelles. Il arriverait la même chose dans tous les cas punissables où elle perdrait quelque membre

  1. Voyez le Mercure historique du mois de juin 1698.
  2. On m’a assuré qu’ils sont les premiers à plaisanter, et à dire que ces sortes d’injures n’emportent point la pièce. Ils croient apparemment imiter ceux qui se raillent eux-mêmes pour énerver la raillerie des autres. Voyez le commencement de la remarque (B) de l’article Agésilaus II.
  3. Ovidius, Fastor. lib. II, vs. 45.