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AARON.

fournaise de Babylone. C’est néanmoins l’opinion de quelques auteurs (C).

(A) Donné lieu à bien des mensonges. ] I. Le rabbin Salomon a cru[1] que le veau que les Israélites adorèrent était vivant et animé, et qu’Aaron, le voyant marcher et manger à la manière des autres veaux, lui dressa un autel. Il y a quelque chose de semblable dans l’Alcoran[2]. II. Plusieurs rabbins, pour disculper Aaron, disent que ce ne fut point lui qui fit le veau d’or ; qu’il n’y contribua qu’en jetant l’or dans le feu, pour se délivrer de l’importunité du peuple : mais que certains magiciens, qui s’étaient mêlés avec les Israélites à la sortie d’Égypte, donnèrent la figure de veau à cet or. Comme l’Écriture déclare que ce fut un ouvrage de fonte à quoi l’on employa le burin, nous pouvons supposer deux choses : ou que l’on fit un moule semblable à un veau, dans lequel on jeta l’or fondu, ou qu’après avoir fait une masse d’or, on la convertit en veau par le moyen de la sculpture. III. Plusieurs ont cru qu’Aaron ne fit point un veau tout entier, mais seulement une tête. IV. On conte[3] que la poudre du veau d’or que Moïse fit brûler et mêler dedans de l’eau dont les Israélites burent, s’arrêta sur les barbes de ceux qui l’avaient adoré, et eurent les barbes dorées, qui fut une marque spéciale pour reconnaître ceux qui avaient adoré le veau. Ce conte a été inséré au chapitre xxxii de l’Exode, dans une Bible française imprimée à Paris, l’an 1538, par Antoine Bonnemère, qui dit en sa préface : Cette Bible en français a été la première fois imprimée à la requête du très-chrétien roi de France Charles VIII de ce nom, assavoir en l’an 1495[* 1], et depuis a été corrigée et imprimée. La même préface fait savoir que le traducteur français n’a rien ajouté que pure vérité comme elle est en la Bible latine, et que rien n’en a été laissé, sinon choses qui ne se doivent point translater. Ainsi l’on doit prendre pour un fait certain ce qui regarde les barbes dorées, et une autre chose de semblable aloi, qui a été insérée au même chapitre xxxii : c’est que les enfans d’Israël crachèrent si fort contre Hur, qui refusait de faire des dieux, qu’ils l’étouffèrent. Le livre[4] d’où j’emprunte ceci a été fait par un ministre wallon, qui ne manque pas de se récrier sur la hardiesse que l’on a eue d’ajouter certaines choses et d’un côté, pendant que de l’autre on faisait des suppressions. Double attentat : version obreptice et subreptice ; traditions puériles insérées : et néanmoins, on ne promet dans la préface que pure vérité, et on déclare que cette translation a été faite, non pas pour les clercs, mais pour les laïcs et simples religieux et ermites, qui ne sont pas lettrés comme ils doivent. Cela même rend plus blâmable l’infidélité du traducteur : les habiles gens se peuvent garantir du piége ; les ignorans ne le peuvent pas. Au reste, la barbe d’or n’est pas l’unique chimère que les rabbins aient forgée. Ils ont dit que l’eau que Moïse fit avaler, imprégnée des corpuscules du veau d’or, fit le même effet, à peu près, que les eaux de jalousie. Elle causa des enflures et des ulcères à ceux qui étaient coupables, et ne fit nul mal aux innocens[5].

(B) Que le veau d’or n’était que de bois doré. ] L’Écriture dit expressément[6] que ce fut un veau de fonte ; et si elle dit ensuite[7] que Moïse le brûla et le réduisit en poudre, cela ne doit pas nécessairement s’entendre comme si cette idole avait été faite d’une matière combustible : cela peut signifier que Moïse refondit cet or, et qu’il le divisa en parties très-menues, qui, étant jetées dans l’eau, y devinrent imperceptibles, comme celles qu’on dit que le Tage et le Pactole charrient. Ainsi François Junius pourrait bien s’ê-

  1. * Leclerc conteste cette date de 1495. C’est pourtant celle qui a été adoptée à peu près. Voyez le Manuel du Libraire, par M. Brunet, au mot Comestor.
  1. Apud Cornel. à Lapide in Exod. p. 605.
  2. Ascemeli taurum fudit, corporeum, emittentem mugitum. Azora XXX Latini Codicis, XX Arabici, apud Seldenum de Diis Syris. Synt. i, cap. IV, pag. 54.
  3. Voyez Jérémie de Pours, à la page 829 de sa Divine Mélodie.
  4. Il a pour titre la Divine Mélodie du saint Psalmiste, et fut imprimé à Middelbourg, l’an 1644, in-4. L’auteur se nomme Jérémie de Pours.
  5. Voyez Salian, tome II, p. 165. Bocharti Hierozoïc, part. I, lib. II, cap. XXXIV.
  6. Exode, chap. XXXII, vs. 4.
  7. Là même, vs. 20.