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ALÉANDRE.

riturus, adeò nullum à se pravum affectum abstinens. Usque ad insaniam iracundus est, quâvis occasione furens. Impotentis arrogantiæ, avaritiæ inexplebilis, nefandæ libidinis et immodicæ, summum gloriæ mancipium, quanquàm mollior quàm qui possit elaborato stylo [1] gloriam parare, et pejor quàm qui vel conetur in argumento honesto. At ne nesciamus, cessit felicissimè simulata defectio ad Christianos. Voilà un portrait qui nous représente Aléandre, non-seulement comme un Juif qui faisait semblant d’être chrétien, et dont le baptême était une chose douteuse ; mais aussi comme un homme qui ne croyait point l’immortalité de l’âme, et qui se plongeait dans les plus infâmes voluptés, emporté jusqu’à la fureur, avare et superbe au souverain point. Il répondit à l’accusation d’être né juif, et déclara devant la diète de Worms, que ses ancêtres avaient eu la dignité de marquis dans l’Istrie, et qu’il avait fourni de bonnes preuves de sa noble et illustre extraction lorsqu’il était devenu chanoine de Liége. Il prit à témoin plusieurs personnes de probité qui l’entendaient, et qui connaissaient sa famille. C’est M. de Seckendorf qui nous apprend cette particularité. Il l’a trouvée dans les archives des ducs de Weimar, où l’on garde, entre plusieurs manuscrits de ce temps-là, les actes de la diète de Worms. La longue Harangue d’Aléandre est en abrégé dans ces actes, et c’est de là que cet illustre luthérien a tiré ce que l’on va lire tel qu’il l’a traduit en latin[2] : Tandem questus est à Luthero spargi quasi Aleander gente Judæus esset : « Deum immortalem ! dixit, multi hìc sunt boni viri, quibus notus sum ego et familia mea, et asserere ego verè possum, majores meos marchiones in Istriâ fuisse [3] : quòd verò parentes mei ad inopiam redacti sunt, fato tribui debet. Natales mens ità legitimavi, ut in Canonicum Leodiensem receptus sim, quod factum non foret, nisi ortus essem ex familiâ illustri vel spectabili. » Ce qui me fait croire que ce reproche de naissance judaïque était injuste, n’est pas une petite raison. Hulric Hutten publia contre Aléandre une invective, où il se mit si en colère qu’il le menaça de le tuer : Omnem advertam diligentiam, omne adhibebo studium, omnia tentabo conaborque, ut qui furore, amentiâ, et iniquitate gravis accessisti, vitâ inanis hinc efferaris. Neque enim exspectandum adhuc tibi est ut stylos doctorum hìc virorum sentias, sed futurum crede ut fortium gladiis confodiare[4]. Il n’ignorait pas que ce nonce avait réfuté devant la diète le reproche du judaïsme, et s’était vanté de descendre d’une maison très-illustre ; mais tant s’en faut qu’il s’engage à soutenir ce reproche, qu’il nie qu’on le lui eût fait. Peu m’importe qu’il ait eu tort de le nier ; la preuve que je tire de son silence n’en est pas moins bonne ; car s’il avait vu quelque fondement dans l’accusation, il eût pour le moins soutenu qu’Aléander niait faussement son extraction juive. Ne lui soutint-il pas que les comtes qu’il se donnait pour parens ne le reconnaissaient pas pour tel ? Nihil intellexisti proximâ auditione cùm multis quidem excusares judaïcam originem, nemo objiceret. Nam esse malum quâcunque etiam gente editum sciebant omnes. Itaque nemo magnoperè putabat generis pravitatem tibi objiciendem : adversùm mores fremebant infensè multi. Et poterat sentiri jam manifestè quæ esset animorum commotio : tu tamen, quasi illìc potissimùm expurgatione opus esset, multis tractabas locum eum ad fastidium usque audientium ; sed tantâ cum fiduciâ ut planè certus tibi esse videreris neminem intelligere, quàm

  1. Paul Jove témoigne qu’Aléandre ne s’exerça qu’à parler ; et que, lorsqu’il voulut écrire, il sentit trop tard son faible. [ Sur cela Leclerc dit qu’Aléandre, au contraire, a composé un grand nombre d’ouvrages dès sa jeunesse, mais qu’il en est peu d’imprimés ; savoir : 1o. la seconde édition de la grammaire de Chrysoloras à laquelle il avait travaillé ; 2o. la Gnomologia qu’il fit imprimer en 1512 ; 3o. la Préface du dictionnaire grec et latin, 1512 ; 4o. son épitaphe en deux vers grecs, rapportés par Bayle, remarque (H), et le petit Poëme latin dont Bayle a parlé remarque (E) ; 5o. quatre Lettres dans le recueil de Nauséa, en 1550, ainsi que Bayle l’a encore dit remarque (E) ; 6o. les Tabulæ in grammaticam grævam, citées par Bayle au même endroit.]
  2. Seckendorf, de Lutheran., pag. 149, liv. 4.
  3. On assure dans son épitaphe qu’il était issu è comitibus Laudri in Carniâ Petræpilosæ in Istriâ.
  4. Hulricus Huttenius in Aleandrum.