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ALCIAT.

personne, quoiqu’il avance cela avec la dernière confiance. Alciatus, dit-il [1], transiit ad Turcas, ac muhammedismum amplexus, inter eos vitam finiit. Hoornbeek ne cite non plus personne dans l’Apparat de ses Disputes contre les Sociniens, où il dit deux ou trois fois qu’Alciat embrassa le mahométisme : Dignam pœnam dedit quando eum Deus ad muhammedanos prolabi sivit ; nempè ne alibi quàm inter infideles istos nomen suum ultrà profiteretur [2]. On pourrait soupçonner que cette fable n’a pas eu la lettre de Théodore de Bèze pour son fondement unique, si l’on ne considérait que légèrement l’Histoire de la réformation polonaise ; car, quand on y voit que l’auteur, ayant parlé d’un certain Adam Neusserus[3], qui enfin se vit contraint de s’enfuir à Constantinople, ajoute qu’Alciat avait eu une semblable destinée, on ne peut guère penser sinon que la chose est véritable, puisqu’un tel historien la débite. Mais, en examinant de près les paroles de cet auteur, on trouve que son témoignage se réduit à rien. Voici comme il parle dans la page 200 : Exacto trimestri necesse habebat (Adamus Neusserus), periculo sibi ab exploratoribus Cæsaris imminente, solum vertere, et Constantinopolin (quam et Alciati fortunam fuisse supra vidimus, adéo Turcæ ante christianos æquitate et humanitate longè sunt !) confugere. Ces paroles nous renvoient à un endroit précédent : je crois que c’est à la page 109. Or, si d’un côté l’on trouve dans cette page que quelques-uns ont écrit que Gentilis s’était fait mahométan, on y trouve aussi, de l’autre, que ce furent ses ennemis qui forgèrent cette imposture. C’est sans doute ce qu’a voulu dire le sieur Stanislas Lubienietzki. On le sent, malgré les fautes d’impression qui défigurent misérablement son livre. De Alciato scriptum accepi, dit-il[4], eum in epistolis ad Gregorium Pauli anno 1564 et 1565 Husterlitzii datis dissuasisse sententiam quòd Christus exstiterit antequàm ex Mariâ nasceretur, et acerrimè dogmati vulgari de Trinitate restitisse, ità ut mahometismum consilii in primordio reformationis sat ancipiti et arduo ignarus ei prætulisse scribatur, sed à Calvino et inventurum ejus æmulis, odio internecino iri eum et alios veritatis amantes flagrantibus[5].

(E) Peut-être... avait-il fait un tour en Turquie... pour être à couvert des persécutions. ] Cela me fait souvenir de Pierre Abélard, qui fut sur le point d’aller chercher un asile aux pays des infidèles, contre les agens ou les promoteurs de l’orthodoxie. Il avait été battu de l’oiseau, et s’alarmait plus qu’un autre ; car toutes les fois qu’il entendait dire qu’il se ferait bientôt une assemblée d’ecclésiastiques, il s’imaginait que c’était pour le condamner. D’ailleurs, il avait éprouvé le grand crédit de ces agens, et il n’était pas facile de leur échapper sous des princes de leur parti. Ils écrivent partout ; et avant que leur ennemi soit arrivé dans une ville, le portrait de ses erreurs y fait déjà peur, et y soulève tous les esprits. Un temps a été, que ceux qui avaient l’oreille des papes pouvaient rendre la meilleure partie de l’Europe un pays inhabitable, à l’égard d’un homme qu’ils se seraient mis fortement en tête de faire passer pour hérétique ; et ce pauvre misérable pouvait en quelque façon leur appliquer quelques endroits du psaume CXXXIX[6]. Il ne faut donc pas s’étonner que Pierre Abélard ait eu envie d’aller chercher du repos au milieu des mahométans ou des païens : il espérait qu’en payant tribut il aurait la liberté de professer le christianisme hors de la sphère d’activité de l’Odium Theologicum ; et il craignait, qu’à moins que d’en venir là, il se trouverait toujours enfermé dans cette sphère. Voici ses paroles : Deus ipse mihi testis est quotiens aliquem ecclesiasticarum personarum conventum adunari noveram, hoc in damnationem meam agi credebam. Stupefactus illicò quasi supervenientis ictum

  1. Hornius, Hist. Eccles., pag. 351. Edit. ann. 1687.
  2. Hoornbeek. Apparatus, pag. 20 ; vide etiam pag. 233.
  3. Il y a dans l’imprimé Neusnerus ; mais ce livre est tout plein de fautes, et surtout quant aux noms propres.
  4. Histor. Reformat. Polonicæ, pag. 109.
  5. Je crois qu’il faut lire, à Calvino esse inventum et ejus æmulis, odio internecino in, etc.
  6. Quò ibo à spiritu tuo, et quò à facie tuâ fugiam ?... Si sumpsero pennas meas diluculo et habitavero in extremis maris..., illuc tenebit me dextera tua.