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ALCIAT.

à Orléans, et d’Orléans à Padoue. M. Teissier le fait professeur à Milan [1]. Il cite Pasquier au chapitre XXIX du IXe. livre des Recherches : il fallait citer le chapitre XXXIX ; mais on n’y trouve point Milan. Voici les paroles de Pasquier : J’ouïs 3 ou 4 des leçons d’Alciat dedans la ville de Pavie. De là m’estant transporté en la ville de Bologne, où lisoit Marianus Socinus, neveu de Bartholomæus, tous les escoliers italiens faisoient beaucoup plus de compte de cestui que de l’autre. Voire que ceux qui plaidoient, pour s’asseurer de leurs causes, recherchoient plus le Socin, pour ceste seule considération (disoient-ils) que jamais il n’avoit perdu le temps en l’estude des lettres humaines, comme Alciat. M. Teissier, citant ce passage, dit que Bartélemi Sucin enseignoit la jurisprudence à Bologne, dans le temps qu’Alciat étoit professeur à Milan. Ces deux faits ne se trouvent point dans Pasquier. Si j’avais voulu faire une masse générale de tout cela, quelle girouette n’aurais-je pas fait de notre inconstant professeur ? Mais j’aurais été mille fois plus condamnable que les auteurs de ces mensonges, si je m’en étais prévalu à son préjudice. Il n’ignorait pas qu’on le blâmait de tous ces fréquens changemens d’académie ; il voulut s’en justifier entre autres raisons par celle-ci : c’est que personne ne trouve mauvais que le soleil parcoure toute la terre, afin d’animer toutes choses par sa chaleur, et par ses rayons : il ajoutait, que quand on loue les étoiles fixes, on n’a pas dessein de condamner les planètes [2]. Il y avait une vanité insupportable dans ces sortes de comparaisons : C’était se regarder comme une source de lumière qui devait successivement parcourir toute la république des lettres, afin que par sa présence les ténèbres de la barbarie fussent chassées de tous les endroits où elles voudraient se cantonner. Mais accordons-lui sa comparaison, et disons-lui qu’il devait faire comme le soleil de Copernic : se tenir dans son centre, et illuminer de là tous ceux qui s’en approcheraient. Il y a bien plus de gloire à faire venir où l’on demeure un grand nombre d’écoliers, comme fit le philosophe Abélard [3], qu’à se transporter soi-même dans les villes où se rendent beaucoup d’écoliers. Et, sans doute, si l’amour de la gloire était tout seul dans une âme, s’il n’était mêlé avec l’amour du profit, ou avec une bizarrerie d’humeur qui fait que l’on se dégoûte bientôt des mêmes choses, on ne verrait pas tant de gens frappés de la maladie d’André Alciat. L’idée de la belle gloire inspirerait à un homme la résolution, non pas d’aller chercher les grands théâtres, mais de convertir en un grand théâtre celui où l’on se trouve placé, quelque petit qu’il soit : on se souviendrait de la réponse d’Agésilaüs. On l’avait placé dans un lieu indigne, un jour de cérémonie : Εὖγε, dit-il, δείξω γὰρ ὁτι οὑχ οἱ τόποι τοὺς ἅνδρας, ἐντίμους, αλλ᾽ οἱ ἄνδες τοὺς τόπους ἐπιδεικνύουσι. Benè habet, ostendam enim non loco virum, sed locum viro cohonestari[4]. On verrait dans cette idée qu’il est bien plus beau de faire gratuitement une chose, que de la faire à gages, et qu’ainsi, plus on approche du don gratuit, c’est à dire d’une profession sans gages, plus on s’approche du grand et du beau : au lieu qu’on s’en éloigne pour s’approcher de l’esprit bas et mercenaire, à proportion de l’augmentation de gages que l’on extorque. C’est réduire à la nature des arts les plus mécaniques la profession des sciences. Un cordonnier ou un chapelier qui se fait plus payer de sa besogne qu’un autre, se fait par cela même la réputation d’un habile ouvrier. Quand vous prétendez que, si l’on vous donne une plus grosse pension pour ce que vous direz en chaire, c’est une preuve qu’on vous estime un plus grand prédicateur ou un plus savant professeur, ne jugez-vous pas de votre métier comme l’on juge de celui d’un cordonnier ou d’un chapelier ? Cela est fort propre à décrier les sciences et à faire mépriser ceux qui les professent ; car un faux goût de gloire

  1. Teissier, Éloges des Hommes illustres, tom. II, pag. 395, édition de Genève, en 1683.
  2. Voyez la Harangue qu’il récita à Ferrare, l’an 1543. Operum tom. IV, pag. 862, et Claude Minos, dans sa Vie.
  3. Voyez la remarque (A) de l’article Foulques.
  4. Plutarch. in Apophth. Laconicis, init., pag. 208.