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ALCASAR.

Il établit que la véritable propreté n’est point outrée, et qu’elle s’éloigne, non-seulement de la saleté, mais aussi d’une exactitude trop scrupuleuse et trop recherchée[1]. S’il avait vu le soin excessif et servile que l’on prend de la netteté des maisons en quelques endroits de Hollande, il aurait nommé cela une fausse propreté. Albutius et Nævius sont les deux exemples qu’il apporte de l’extrémité vicieuse : le premier est l’exemple du trop de façon ; le dernier est l’exemple du trop peu de façon. Quelques interprètes ont pris le change : ils ont pris Nævius pour un prodigue, et Albutius pour un avare[2]. Mais peut-être ne s’agit-il point là d’avarice et de prodigalité : peut-être ne s’agit-il que de propreté et de malpropreté. Ce dernier défaut est joint quelquefois avec la dépense superflue. Il y a des gens prodigues, et en habits, et en meubles, et en repas, qui cependant ne passent point pour se mettre bien, ni pour donner aux ornemens de leurs chambres un arrangement bien entendu, ni pour avoir une bonne table. Quoi qu’il en soit, Albutius n’est point ici un exemple d’avarice. Je finis par observer que la barbarie d’Albutius pour ses esclaves n’est pas une chose que M. Moréri ait forgée ; il l’avait lue dans son patron[3] : mais il n’a point su que la source en est dans un ancien scoliaste : Asper in exigendâ à singulis impensi ratione castigandoque, adcò ut servos nonnumquàm castigaret priùs et cœderet quàm peccâssent, dicens vereri se ne cùm peccâssent, cœdere tunc ei non vacaret[4].

(G) Je ne crois pas que ce soit le même que celui dont Horace parle. ] Nous venons de voir que l’Albutius d’Horace était d’une exactitude outrée, qu’il ne pardonnait rien à ses domestiques, qu’il voulait que l’un fît précisément ceci, et l’autre cela, et qu’il entrait là-dessus dans un détail pédantesque. Celui, dont parle Lucilius, qui affectait si fort en tout la politesse et l’élégance des Grecs qu’il voulait passer pour Grec[5], était justement taillé pour fournir l’exemple dont Horace avait besoin ; car tout homme qui affecte les manières des pays étrangers, y mêle je ne sais quoi de forcé et d’exorbitant qui fait passer la chose dans le ridicule. Voyez ce que font certains provinciaux si souvent joués par Molière, à l’égard des modes qu’ils ne savent jamais tenir dans le milieu. J’ai de la peine à croire qu’Horace ait amené sur la scène Albutius le Grec, l’Albutius de Lucilius ; mais je ne trouve pas si étrange que Torrentius ait cru cela. M. Dacier aime mieux dire que l’Albutius d’Horace était fils de celui de Lucilius. Je crois que l’affectation d’Albutius pour le grec regardait le langage principalement, où l’on sait d’ailleurs, par les railleries de Lucilius, qu’il aimait un artifice trop étudié : Collocationis est componere et struere verba, sic ut neve asper eorum concursus, neque hiulcus sit, sed quodammodo coagmentatus et lœvis. In quo lepidè soceri [6] persona lusit is qui elegantissimè id facere potuit, Lucilius,

Quàm lepidélexeis compostæ, ut tesserulæ omnes
Arte, pavimento, atque emblemate vermiculato.


Quæ cùm dixisset in Albutium illudens, etc.[7]. Ces vers de Lucilius représentent une certaine espèce d’écrits qu’on pourrait nommer un ouvrage de marqueterie, un ouvrage à la mosaïque.

  1. Voyez M. Dacier, sur ce passage.
  2. Le vieux Commentateur, Lambin, Cruquius, etc., d. I.
  3. Charles Étienne.
  4. Vetus Commentator in Horat. d. I.
  5. Voyez M. Dacier, Remarques sur la Satire Ire. du IIe. livre d’Horace.
  6. Mutius l’augure : d’où nous apprenons que Lucilius le faisait quelquefois parler dans ses Satires.
  7. Cicer. de Oratore, lib. III, cap. 43. Voyez aussi son Orator., cap. 43 et seq.

ALCASAR (Louis de), jésuite espagnol[a], naquit à Séville, l’an 1554. Il entra chez les jésuites, l’an 1569, malgré la résistance de sa famille, qui possédait de grands biens. Après avoir régenté la philosophie, il enseigna la théologie à Cordoue et à

  1. On l’a fait Portugais dans l’Index de l’Apocalypse de M. de Meaux. (Bossuet.)