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ALBERT.

vacat, etiamsi illum veluti scriptionis putorem suis commentariis immiserit [1]. Mais il serait encore plus nécessaire d’abolir ce qui rend nécessaires ces sortes d’écrits ; car, quelque bonne que puisse être l’intention des auteurs, c’est à des livres de cette nature qu’on peut appliquer mieux qu’à cent autres le peccare docentes historias [2].

(E) On a dit qu’il travaillait à la pierre philosophale. ] Naudé nous apprend que Mayer, le grand fauteur des alchimistes, n’a point eu honte d’asseurer en ses Symboles de la table d’or des douze nations[* 1], que saint Dominique avait eu premièrement la connaissance de la pierre philosophale ; et que ceux à qui il l’avait laissée la communiquèrent à Albert-le-Grand, qui acquitta, par le moyen d’icelle, en moins de trois ans, toutes les debtes de son évesché de Ratisbonne [3]. Mayer se fonde sur trois livres de chimie, qu’il attribue à Albert-le-Grand. On lui répond qu’il a tort de les lui attribuer[4] ; et on le prouve, tant parce qu’il n’y en a pas un qui soit recueilli dans ses œuvres, ou spécifié par Trithème, que parce que celui de la Quintessence lui a éte faussement attribué par François Pic[* 2]. Pour prouver ce dernier fait on n’imite point Velcurion[* 3], et Guibert[* 4], qui ont soutenu qu’Albert-le-Grand se moque des alchymistes et de leur transmutation prétendue dans son troisième livre des minéraux[* 5] : on n’a garde de se servir de cette preuve, veu qu’il y soustient une opinion du tout contraire ; mais on montre que l’auteur du livre de la Quintessence se qualifie religieux de l’ordre de saint François, et dit qu’il l’a composé lorsqu’il estoit en prison. Ces deux circonstances se doivent indubitablement rapporter à Jean du Rupescissa.

(F) On a dit... qu’il était un insigne magicien. ] Il y a long-temps que Trithème l’a voulu justifier de cette accusation. Cela paraît par ces paroles : Non surrexit post eum vir similis ei, qui in omnibus litteris, scientiis et rebus tam doctus, eruditus, et expertus fuerit. Quòd autem de Necromantiâ accusatur, injuriam patitur vir Deo dilectus[5]. Naudé prétend qu’on ne peut fonder cette accusation que sur deux ouvrages qui ont couru sous le nom d’Albert-le-Grand, et sur l’Androïde. Voilà donc deux preuves ; voyons ce qu’il dira de chacune :

1°. Le premier des deux écrits est celui de Mirabilibus, l’autre est le Miroir d’Astrologie, où il est traicté des autheurs, licites et défendus, qui ont escrit de cette science[6]. François Pic[* 6], et Martin Del Rio[* 7], conviennent que c’est faire un grand tort à Albert-le-Grand de le croire autheur de celuy de Mirabilibus ; et qu’ainsi ne soit, le dernier le descharge en ces propres termes : Alberto Magno tributus liber de Mirabilibus, vanitate et superstitione refertus est, sed magno doctori partus supposititius. Le Miroir d’Astrologie a esté condemné par Gerson[* 8], et Agrippa [* 9], comme superstitieux au possible, et par François Picus[* 10], et beaucoup d’autres, à cause que son autheur maintient en icelui une opinion grandement erronée en faveur des livres de magie qu’il soustient, sauf un meilleur advis, devoir estre conservez soigneusement, parce que le temps approche, que pour certaines causes, lesquelles il ne spécifie, l’on sera contraint de les feuilleter, et s’en servir en quelques occasions[7]. Il semble donc que si notre Albert avait composé un tel livre, il le faudrait prendre pour un magicien : mais Naudé n’accorde point cette conséquence, vu que le jésuite Vasquez dit formellement [* 11] que les livres de magie

  1. (*) Lib. VI.
  2. (*) Lib. III de Auro.
  3. (*) Lib. III Physic., cap. XIII.
  4. (*) Alchym. impugnatae lib. II, cap. VII.
  5. (*) Tractata I, cap. IX.
  6. (*) Lib. VII de Prænot., cap. VII.
  7. (*) Disquisit. Mag., lib. I, cap. III.
  8. (*) Libro de Libris Astrolog. non tolerandis, proposit. III.
  9. (*) In Epistolis.
  10. (*) Lib. VII, de Prænot., cap. II.
  11. (*) Part. I, quæst. II, art. III, disput. XX, cap. IV, in princip.
  1. Idem, ibid.
  2. Horat. Od. VII, lib. III, vs. 19.
  3. Naudé, Apologie des grands Hommes, pag. 519.
  4. Là même, pag. 520.
  5. Trithem. de Scriptor. Ecclesiast., p. 195.
  6. Naudé, Apologie des grands Hommes. pag. 523, 524.
  7. Naudé, Apologie pour les grands Hommes, pag. 525.