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ALBERT.

avait fait une tête dont les ressorts pouvaient former quelques voix articulées : mais quelle sottise n’est-ce pas que de fonder là-dessus une accusation de magie ? Quelques-uns prétendent qu’il y a un grand miracle qui a parlé pour sa justification (G). Quoiqu’il fût aussi capable qu’un autre d’inventer l’artillerie, on a lieu de croire que ceux qui lui en attribuent l’invention se trompent (I). On raconte[a] que naturellement il avait l’esprit fort grossier, et tellement incapable d’instruction, qu’il était sur le point de sortir du cloitre, parce qu’il désespérait d’apprendre ce que son habit de moine demandait de lui ; mais que la sainte Vierge lui apparut, et lui demanda en quoi il aimait mieux exceller, ou dans la philosophie, ou dans la théologie ; qu’il choisit la philosophie : que la sainte Vierge l’assura qu’il y deviendrait incomparable, et qu’en punition de n’avoir point choisi la théologie il retomberait avant sa mort dans sa première stupidité. On ajoute qu’après cette apparition, il eut infiniment de l’esprit, et qu’il profita dans toutes les sciences avec une promptitude qui étonna tous les maîtres ; mais que trois ans avant sa mort, il oublia tout d’un coup ce qu’il savait ; et qu’étant demeuré court en faisant une leçon de théologie à Cologne, et ayant tâché en vain de rappeler ses idées, il comprit que c’était là l’accomplissement de la prédiction. On a donc dit que, par des voies miraculeuses, il avait été métamorphosé d’âne en philosophe, et puis de philosophe en âne. Il serait très-inutile que je remarquasse que ce sont des fables : ceux qui m’en croiraient n’ont pas besoin de mes avis, et en feraient ce jugement sans les attendre ; et quant à ceux qui en jugent autrement, ils ne changeraient pas d’opinion en lisant ici que je ne suis pas de leur goût. Notre Albert était[* 1] fort petit (D). Il mourut à Cologne le 15 de novembre 1280, âgé ou de quatre-vingt-sept ans ou de soixante-quinze. Il a écrit un si prodigieux nombre de livres, qu’ils montent à 21 volumes in-folio dans l’édition de Lyon, en 1651. Un jacobin de Grenoble, nommé Pierre Jammy, l’a procurée[* 2].

On[b] m’a communiqué deux ou trois particularités que l’on verra ci-dessous (K).

  1. * Leclerc rappelle que ce fait a été trouvé faux par Pierre de Prusse qui en 1483 avait assiste à l’ouverture du tombeau d’Albert, et mesuré ses os.
  2. * Joly ajoute que le père de Montfaucon, dans sa Bibl. Manuscriptorum Nova, cite plusieurs manuscrits d’Albert-le-Grand, dont quelques-uns ont été inconnus à ceux qui ont parlé de ce fameux docteur.
  1. Voyez le Ier. volume des Annales de Pzovius.
  2. M. de la Monnaie.

(A) Il naquit l’an 1193, ou l’an 1205. ] Vossius a raison de censurer Nicolas Reusnerus, qui a mis la naissance d’Albert à l’an 1293, et la mort à l’an 1382 : c’est avoir commencé son livre par une bévue. Quæ magna est ἀνιςορησία peccantis in ipso operis ingressu, velut cantherius in portâ, ut dici solet ; nam ab hoc Alberto Icones et Elogia sua auspicatur[1]. Voilà comment parle Vossius, sans se souvenir qu’à la page 62, par une faute qui n’est pas moindre que celle-là, il avait mis l’état florissant d’Albert à l’an 1160, et sa mort à l’an 87 de sa vie, en 1208 ; et aui l’avait fait con-

  1. Vossius, de Scient. Mathemat., pag. 362.