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ALAMOS.

duction, qui est aussi claire que l’original. est obscur, soit pour les Aforismes, qui sont à toutes les marges, dont la plupart sont proprement des parafrases et des versions des sentences de Tacite, et les autres des conclusions morales ou politiques, tirées des événemens qu’il raconte ; mais quelque applaudissement que ce livre ait eu dans le monde, je ne laisse pas d’espérer que le mien y sera très-bien reçu de ceux qui sont capables d’être juges en cette sorte de matière, et même d’autant mieux que ce que j’ai fait était beaucoup plus difficile à faire que ce qu’Alamos a fait. Car tous ses Aforismes.... sont autant de pièces et de morceaux, et, comme dit le proverbe, du sable sans chaux et sans ciment ; au lieu que dans mes chapitres, je fais un discours continu de toutes les citations latines qui sont aux marges, et même un corps uniforme de toutes pièces différentes. À quoi Juste Lipse dit qu’il faut avoir travaillé, pour savoir combien cela est difficile. Voici les paroles de Lipse, telles qu’elles sont citées par M. Amelot : Nec verò nudas aut sparsas sententias dedimus, ne diffluerent, et esset, quod dicitur, arena sine calce : sed eas aut inter se haud indecenter vinximus, aut interdùm velut cæmento quodam commisimus nostrorum verborum, è mille aliquot particulis uniforme hoc et cohærens corpus formantes. Hoc totum quàm arduum mihi fucrit, frustrà dixerim apud non expertum... eò major mihi molestia quòd per hæc aliena vestigia sic iverim, tanquàm in liberrimo ingenii cursu[* 1].

(B) Cet ouvrage devait être suivi d’un Commentaire. ] Le privilége du roi fait expressément mention de ce Commentaire. Antoine Covarruvias en parle comme d’un livre qu’il a lu, et il nous en apprend même la forme et les principales parties : c’est dans l’approbation qu’il a donnée à l’ouvrage d’Alamos, imprimée à la tête de la traduction. Un autre approbateur parle nommément du Commentaire. Alamos, dans ses préfaces, en parle plus d’une fois, et promet d’éclaircir là les obscurités de Tacite : cependant Nicolas Antoine n’en dit pas un seul petit mot ; et, ce qui est plus étrange, il ne parle pas même de la traduction : il dit seulement qu’Alamos fit des Aphorismes sur les Œuvres de Tacite.

(C) Il avait travaillé en prison à obtenir un privilége pour l’impression. ] Je ne remarque pas cela afin d’allonger l’article comme quelques lecteurs accoutumés à précipiter leurs jugemens se pourront imaginer. Je me propose l’instruction d’un petit procès qu’on a intenté à Don Antonio, avec beaucoup d’apparence de raison. Il prétend qu’Emanuel Sueiro traduisit les Œuvres de Tacite en espagnol, après qu’Antoine de Herrera en eut traduit quelque partie, et après que Balthasar de Alamos, et Carlos Coloma, les eurent traduites toutes entières : Post Antonii de Herrera aliqualem, Balthasaris de Alamos, et Caroli Coloma, illustrium virorum, integram operam in hujusmet Autoris interpretatione positam[1]. Or il reconnaît que la version de Sueiro fut imprimée à Anvers en 1613 ; et il est certain que celle d’Alamos fut imprimée à Madrid, en 1614. C’est la date que Don Nicolas Antonio a donnée aux Aphorismes d’Alamos[2]. D’ailleurs Alamos a exposé dans sa préface les raisons qui ne l’avaient pas empêché de publier son Tacite, depuis que la traduction de Sueiro avait vu le jour[3]. Il ne semble donc pas qu’il soit possible de répondre pour le bibliothécaire des écrivains espagnols à cette objection de M. Amelot de la Houssaie : Témoignage, dit-il, en citant ce que je viens de citer, que Don Nicolas Antonio s’est mépris quand il fait la version d’Emanuel Sueiro postérieure à celle d’Alamos[4]. Je ne vois que ce seul rayon d’excuse : c’est de dire que peut-être Sueiro n’ignorait pas, lorsqu’il entreprit son ouvrage, qu’Alamos avait déjà obtenu un privilége, pour en publier un tout semblable, qui avait été vu et approuvé par Antoine Covarruvias. La nouvelle avait pu lui en venir jusqu’à Anvers ; car, dès l’an 1594, le roi Philippe II avait

  1. (*) Lipsius. præfatione Doctr. Civilis.
  1. Nicol. Antonii Bibl. Hisp., tom. I, p. 273.
  2. Id. ibid., pag. 140.
  3. Y aunque agora avia salido otro Tacito, traducido por Manuel Sueyro, no quise que dexasse de publicarse el mio, etc.
  4. Amelot, Disc. Critique, au-devant de la Morale de Tacite, et de la version de ses Annales.