d’épée[1]. Ulysse, soupçonné de cet homicide, et voyant les murmures de l’armée, s’embarqua, et mit à la voile le plus promptement qu’il put. Suidas [2] et Sédrenus avouent bien qu’Ajax et Ulysse disputèrent le palladium ; mais non pas que les juges aient prononcé en faveur de l’un ou de l’autre. Ils disent qu’on se sépara, avant qu’il y eût rien de décidé, et que la nuit suivante Ajax fut trouvé raide mort. Il y en a qui veulent que son combat avec Pâris lui ait été aussi funeste qu’à son adversaire : il y reçut une blessure dont il mourut[3], et il y tua Pâris[4]. D’autres disent que les Troyens, avertis par un oracle, que le fer ne pouvait rien sur son corps, et que, si on voulait le faire mourir, il fallait l’accabler de boue, le firent périr de cette façon[5].
(E) Un de ses caractères était l’impiété. ] Quand il partit pour l’armée, son père lui recommanda de joindre toujours à la force de son courage l’assistance du bon Dieu. Ajax lui répondit que les poltrons même sont souvent victorieux avec une telle assistance ; mais que pour lui, il s’en passerait, et qu’il était assuré de vaincre sans cela :
Τέκνον, δορὶ
Βοὺλου κρατεῖν μὲν, σὺν θεῷ δ᾽ ἀεὶ κρατεῖν.
Ὁ δ᾽ ὑψικόμπως κᾀϕρόνως ἠμείψατο,
Πάτερ, Θεοῖς μὲν κἂ ὁ μηδεν ὢν ὁμοῦ
Κράτος κατακτήσαιτ᾽· Ἐγὼ δὲ καὶ δίχα
Κείνων, πέποιθα τοῦτ᾽ ἐπισπάσιν κλέος[6].
........Mi fili, inquit, virtute
Velis vincere, sed auxiliante Deo semper velis vincere.
Ipse verò superbè ac stultè respondebat,
Adjuvante Deo, inquit, etiam ignavi
Vincere solent. Ego verò, vel absque
Auxilio divino, confido me istam attracturum esse gloriam.
On trouve encore un passage tout
semblable dans le même auteur.
Εἰ δέ τις θεῶν βλάπτοι, ϕύγοιγ᾽ ἂν χῷ
κακὸς τὸν κρείσσονα[7].
Sed cùm Deus adversatur, tunc etiam ignavi
effugiunt è manibus virorum fortium.
Minerve se voulut mêler un jour de
lui donner des avis ; il lui repondit
fièrement : Ne vous mettez point en
peine de mon poste ; j’en rendrai bon
comple : vous n’avez qu’à garder vos
bons offices pour les autres Grecs[8].
Une autre fois, elle s’offrit à conduire
le chariot d’Ajax dans la mêlée : il ne
le voulut point souffrir[9]. Il fit
même effacer de son écu la chouette
qu’on y avait peinte[10]. Il craignit
apparemment que cette peinture ne
fût prise pour un acte de dévotion
envers Minerve, et pour une défiance
de ses propres forces. On ne serait pas
équitable, si l’on n’apprenait ici aux
lecteurs qu’il n’est pas si indévot dans
Homère ; car, s’il n’y prie pas Jupiter
en se préparant au combat contre le
vaillant Hector, il demande pour le
moins que d’autres fassent des prières
à ce Dieu, ou tout bas, de peur
que les Troyens ne l’entendent, ou
même tout haut ; car, ajoute-t-il, je
ne crains personne[11]. Il n’y a pas là
de quoi le donner pour un modèle de
dévotion, comme on le fait dans le
Commentaire sur les Emblèmes d’Alciat.
Rectè Ajax apud Homerum qui
Deos invocat sese ad arma componens ;
neque enim putat sibi felicius
rei benè gerendæ auspicium capere
posse quàm ab invocatione numinis
[12]. C’est mal rapporter le fait ; le
passage du XXVIIe. livre de l’Iliade, vers
645, ne sert de rien ici. Il ne veut pas
que les Troyens sachent qu’on prie
Dieu pour le bon succès de ses armes ;
cela peut recevoir deux explications :
il craignait peut-être que les Troyens
ne prissent cette invocation de Dieu
pour une marque qu’on se défiait de
sa valeur ; ou bien, il craignait que
les Troyens, avertis des vœux que les
Grecs feraient pour lui, n’en fissent
de semblables, ou même de plus ardens,
pour leur Hector. La première
de ces deux explications lui laisse une
vanité fort injurieuse à Dieu : la seconde
lui laisse beaucoup de persuasion
du pouvoir céleste. Mais, à quoi
sert cela, puisqu’il consent qu’on prie
tout haut ; qu’il y consent, dis-je,
- ↑ Dict. Cret., lib V.
- ↑ Suidas in voce. Παλλάδιον.
- ↑ Dares Phryigius et Scholiast. Sophocl. in Argument. Ajacis.
- ↑ Dares Phrygius.
- ↑ Apud Scholiast. Sophocl, ibid.
- ↑ Sophocles in Ajace, pag. 80, 81.
- ↑ Ibid., pag. 51.
- ↑ Ibid., pag. 81.
- ↑ Scholiastes Sophoclis.
- ↑ Idem.
- ↑ Homeri Iliad., lib. VII, vs. 196.
- ↑ Comment. in Emblem. CXXVII Alciati, pag. 547.