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AJAX.

Τῶν ἄλλων Δαναῶν μετ᾽ ἀμύμονα Πηλεΐωνα[1].

Ajacem, qui eximius et formâ et rebus gestis fuit,
Inter alios Græcos post Achillem, in quo nihil desiderabatur.


Plutarque fonde là-dessus l’objection qu’il fait à Platon, qui a feint que l’âme d’Ajax ne fut enrôlée que la vingtième : Τί οὖν (εἶπεν) οὐ δευτεραῖα μὲν ὁ Αἴας κάλλους καὶ μεγέθους καί ἀνδρείας ἀεὶ ϕέρεται μετ᾽ ἀμύμονα Πηλείωνα. Quid (inquit) nonne Ajax semper ab Achille secundus habetur pulchritudine, magnitudine, et fortitudine ? M. Moréri rapporte ce passage tout falsifié ; voici ses paroles : Plutarque remarque en ses Questions de table, pour quelle raison Platon ne donne après Achille que la vingt-deuxième place à l’âme d’Ajax, qui était estimé le premier en beauté, en force et en courage ; et il fait voir que ce philosophe se jouait par la différente signification des noms.

(B) Sa fureur fit beaucoup de bien aux assiégeans.] On aurait néanmoins grand tort d’en conclure que le vrai courage a besoin d’un tel secours. Les utilités du vice n’empêchent pas qu’il ne soit mauvais. Je vous renvoie à ce beau passage de Cicéron. Non igitur desiderat fortitudo advocatam iracundiam : satis est instructa, armata parata, per sese. Nam isto modo quidem licet dicere utilem vinolentiam ad fortitudinem, utilem etiam dementiam, quod et insani et ebrii multa faciunt sæpé vehementiùs. Semper Ajax forus, fortissimus tamen in furore.

Nam facinus fecit maximum, quùm, Danais inclinantibus,

Summam rem perfecit manus, prælium quùm restituit insaniens.


Dicamus igitur utilem insaniam[2].

(C) Il était invulnerable par tout le corps, à une partie près.] Voici l’origine de cette singularité. Hercule, voyant Télamon fâché d’être sans enfans, pria Jupiter de lui donner un garçon qui eût la peau aussi dure que celle du lion de Némée, et autant de courage que ce lion[3]. Il vit une aigle, après avoir cessé de prier, et la prenant pour un bon augure, il promit à Télamon un fils tel qu’il venait de lui souhaiter, et ordonna que cet enfant fût nommé Ajax, à cause de l’aigle[4] qui avait fourni le présage. Il revint voir Télamon, après la naissance d’Ajax ; et se faisant donner cet enfant tout nu, il l’enveloppa de la peau de son lion de Némée : d’où il arriva que tout le corps d’Ajax devint invulnérable, excepté la partie qui se trouva sous le trou qui était dans cette peau, à l’endroit où Hercule portait son carquois[5]. On n’est point d’accord touchant la partie qui se trouva sous ce trou : les uns la mettent sous l’aisselle[6], d’autres au cou[7], d’autres au côté[8], d’autres à la poitrine. Tzetzès sur Lycophron se range à ce dernier sentiment ; et Ovide paraît en être au XIIIe, livre des Métamorphoses, vers. 391 :

Dixit, et in pectus tùm denique vulnera passum,
Quà patuit ferro lethalem condidit ensem.

(D) On a rapporté des circonstances de sa mort, dont les unes détruisent des autres. ] Car il y a des auteurs qui veulent qu’il se soit donné la mort, dans la fureur qui le transporta, après avoir perdu le procès des armes d’Achille : d’autres disent qu’il n’eut point de démêlé avec Ulysse touchant ces armes ; mais touchant le palladium qu’on avait enlevé de Troie au saccagement de la place. Ces deux narrés sont incompatibles, vu que les armes d’Achille furent adjugées à Ulysse avant la prise de Troie, et qu’Ajax se désespéra peu après l’adjudication. Quoi qu’il en soit, Dictys de Crète raconte qu’Ulysse remporta le palladium sur Ajax, par le jugement des chefs, et qu’Ajax, transporté de colère, menaça de tuer ceux qui lui avaient fait cette injustice ; mais que le lendemain il fut trouvé mort dans sa tente, transpercé d’un coup

  1. Homeri Odysseæ lib. XI, vs. 549 ; vide etiam vs. 468.
  2. Cicero Tuscul., lib. IV, cap. XXIII et XXIV.
  3. Pindar. Isthmic. Ode VI. Apollodor., lib. III.
  4. Les Grecs nomment l’aigle Ἀιετὸς.
  5. Suidas in Ἀσϕαδάςῳ ; Scholiastes Sophoclis in Ajacem ; Scholiast. Homeri in Iliados lib XXIII ; et Tzetzes in Lycophr.
  6. Suidas in Ἀσϕαδάςῳ.
  7. Apud Tzetzen ; item Scholiastes Homeri in Iliados lib. XXIII.
  8. Scholiast. Sophoclis in Ajacem.