Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/353

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
307
AGRIPPA.

modi heroüm illorum facinora flagitiaque in varias transfusa linguas, omnique populo exposita dilucidè narrabo.

(T) Il eut quelques opinions qui n’étaient pas de la routine. ] J’ai déjà touché celle qui regardait la chute d’Adam. Les autres n’étaient pas si scabreuses, et n’avaient point d’autre mal que d’être conformes aux hypothèses des réformateurs. Sa Dissertation du Mariage, dédiée à Louise de Savoie, mère de François Ier., donne de bonnes atteintes à la loi du célibat, et marque assez clairement que l’adultère rompt l’engagement conjugal. Un de ses amis[1] lui fit savoir que cette Dissertation avait déplu à la cour, et qu’on n’avait osé d’abord le présenter à la princesse. Voyez ce qu’il répondit. Il n’approuvait point les images, et de tout son cœur il aurait donné dans une réforme qui n’aurait pas produit l’érection d’autel contre autel[2].

(V) Il expliquait sa Philosophie occulte d’une manière qui n’est guère différente des spéculations de nos quiétistes. ] Citons encore une observation de Naudé, destinée à faire voir que, sous prétexte de cette clef, on ne peut pas soutenir qu’Agrippa est le vrai auteur du IVe. livre de la Philosophie occulte. Sans qu’il faille objecter, dit-il [3], ce que le mesme Agrippa dit en quelques endroits de ses épistres[* 1], qu’il se réservoit la clef des trois livres qu’il avoit publiés[4] : car, outre que l’on pourroit respondre avec beaucoup de probabilité, qu’il faisoit mention de cette clef pour se faire courtiser par les curieux, comme Jacques Gohory [* 2] et Vigenere[* 3] disent qu’il se vantoit à mesme dessein de savoir la pratique du miroir de Pythagore, et le secret d’extraire l’esprit de l’or d’avec son corps pour convertir en fin or l’argent et le cuivre, non toutesfois, si non autant que montoit le poids de celui duquel il avoit esté séparé, et non plus : outre cette raison, dis-je, il explique assez ce qu’il entendoit par une telle clef, quand il dit en la 19e. épist. du livre 5 : « Hæc est illa vera et mirabilium operum occultissima philosophia ; clavis ; ejus intellectus est : quantò enim altiora intelligimus, tantò sublimiores induimus virtutes tantòque, et majora, et faciliùs, et efficaciùs operamur. » Naudé s’est arrêté là ; mais M. de la Monnaie ne s’y est pas arrêté ; il m’a fait la grâce de m’avertir que les pensées d’Agrippa sont assez conformes à celles des quiétistes. On en sera persuadé si l’on examine ce que je vais rapporter. Agrippa fait mention de cette clef dans deux lettres qu’il écrivit à un religieux[5] qui s’attachait fort aux sciences occultes. Il lui représente que tout ce que les livres apprennent touchant la vertu de la magie, et de l’astrologie, et de l’alchimie, est faux et trompeur quand on l’entend à la lettre ; qu’il y faut chercher le sens mystique, sens qu’aucun des maîtres n’avait encore développé, et qu’il était presque impossible de découvrir : sans le secours d’un bon interprète, à moins qu’on ne fût illuminé de l’esprit de Dieu, ce qui arrive à très-peu de gens[6] : O quanta leguntur scripta de inexpugnabili magicæ artis potentiâ, de prodigiosis astrologorun : imaginibus, de monstrificâ alchimistarum metamorphosi, deque lapide illo benedicto, quo, Midæ instar, contacta æra mox omnia in aurum argentumve permutentur : quæ omnia comperiuntur vana, ficta, et falsa, quoties ad litteram practicantur[7]. Il ne faut point chercher hors de nous-mêmes, ajoute-t-il, « le principe de ces grandes opérations : il est chez nous ; c’est un esprit intérieur qui peut trés-innocemment effectuer tout ce que les magiciens et les alchimistes promettent. Je ne vous écrirai point sur cela ; car ce ne sont point des choses qu’il faille confier au papier. L’esprit les communique à l’esprit en peu de mots consacrés. » Atque

  1. (*) Epistola LVI libri IV, XIV libri V.
  2. (*) Libro de Myst. not. Comment. in Paracels. de Vitâ longâ, folio 61.
  3. (*) En ses Chiffres, folio 16 et 27.
  1. Capellanus, médecin de François Ier. Voyez les Lettres d’Agrippa, p. 832, 833, 836.
  2. Vide Gesnerum in Biblioth., fol. 309, verso.
  3. Naudé, Apologie pour les grands Hommes, pag. 414, 415.
  4. Naudé se trompe, ils n’étaient pas publiés encore.
  5. Aurelius ab Aquapendente, Augustinianus.
  6. Nisi fuerit divino numine illustratus, quod datur paucissimis. Agrippa, Epist. XIV libri V, pag. 904.
  7. Idem, ibid.