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AGRIPPA.

nouvel ouvrage vient faire des descriptions où l’on puisse reconnaître ce que l’on cache le plus soigneusement que l’on peut au peuple ; le premier livre ne peut plus jouir de son repos : il devient hérétique, impie, brûlable. On commence alors d’être rongé du zèle de la maison de Dieu, on le persuade aux bonnes gens ; mais ceux qui ne sont point dupes voient bien quelle est la passion honteuse que l’on couvre sous le beau masque des intérêts de la piété. Rendons justice aux théologiens de Louvain : ils ne méritent pas la flétrissure dont l’apologiste d’Agrippa les charge par un tel endroit. La Philosophie occulte ne fut imprimée qu’après la Déclamation de la Vanité des Sciences : il suffit de leur reprocher qu’ils usèrent de mille chicaneries pour trouver des propositions condamnables dans cette Déclamation. Voyez la forte réponse qui leur fut faite : elle est au second volume d’Agrippa, et commence à la page 252.

Faisons en peu de mots l’histoire de cette Philosophie occulte. Agrippa fit cet ouvrage dans ses jeunes ans[1], et le montra à l’abbé Trithème, dont il avait appris bien des choses[2]. Trithème en fut charmé, comme il paraît par la lettre qu’il lui écrivit le 8 d’avril 1510[3] ; mais il lui conseilla de ne le communiquer qu’à des personnes affidées. Je ne sais si l’auteur le communiqua à trop de gens, ou si les premiers qui en eurent une copie manquèrent de discrétion : la vérité est qu’il en courut diverses copies manuscrites presque par toute l’Europe. Il n’est pas besoin d’avertir que la plupart étaient fort défectueuses : cela ne manque jamais d’arriver en pareil cas. On se préparait à imprimer sur une de ces mauvaises copies : c’est ce qui détermina l’auteur à le publier lui-même avec les additions et les changemens dont il l’avait embelli depuis qu’il l’avait montré à l’abbé Trithème. Melchior Adam se trompe quand il dit qu’Agrippa, ayant corrigé et augmenté ce livre dans un âge plus avancé, le fit voir à l’abbé Trithéme. Il avait réfuté, dans son écrit de la Vanité des Sciences, sa Philosophie occulte ; et néanmoins il la publia, afin d’empêcher que d’autres ne l’imprimassent pleine de fautes et mutilée[4]. Il la fit approuver par des docteurs en théologie et par des personnes que le conseil de l’empereur commit spécialement à cette lecture : Liber ille jam nuper per aliquos Ecclesiæ prælatos et doctores sacrarum humanarumque litterarum eruditissimos, et ex Cæsaris consilio ad hoc specialiter deputatos commissarios examinatus et probatus fuerit, deindè etiam totius Cæsarei consilii assensu admissus, et ejusdem Cæsareæ majestatis authentico diplomate et appensâ in rubrâ cerâ Cæsaris aquilâ privilegiatus, insuper Antverpiæ, et posteà etiam Parisiis, sine contradictione impressus et publicé venditus et distractus sit[5]. Sur ces approbations il obtint un privilége de sa majesté impériale, il fit imprimer son livre à Anvers, et le dédia à l’électeur de Cologne. Son épitre dédicatoire est datée de Malines, au mois de janvier 1531 ; et c’est la treizième du VIe. livre de ses Lettres. Ce livre parut l’an 1531. Il fut réimprimé d’abord à Paris. Ces deux éditions se vendirent sans nul obstacle. L’auteur fit travailler à une troisième à Cologne. Le père Conrad d’Ulm, inquisiteur de la foi, en eut le vent, et fit arrêter l’impression ; mais la vigoureuse requête d’Agrippa aux magistrats eut sans doute son effet, puisqu’il y a une édition de Cologne de la Philosophie occulte en 1533. Elle contient trois livres, au lieu que les précédentes ne contenaient que le premier[6]. On y joignit, après la mort d’Agrippa, un quatrième livre qui n’est point du même auteur. Optimo jure his (libris magicis) annumeratur abominabilis libellus nuper in lucem ab impio homine emissus, tributusque Henr. Corn. Agrippæ, meo olim hospiti et præceptori honorando, ultra annos quadraginta jam mortuo, ut hinc falsò ejus manibus jam inscribi sperem, sub titulo quarti libri de occultâ philosophiâ seu de ceremoniis magicis : qui insuper

  1. Voyez-en la préface.
  2. Agrippa, Epist. XXXIII libri III, p. 800.
  3. Elle est à la tête du livre, et à la page 704 du IIe. tome de ses Œuvres.
  4. Voyez-en la préface.
  5. Agr. Epistola XXVI libri VII, p. 1033. Voyez aussi pag. 1045.
  6. Voyez l’épître dédicatoire du IIe. et du IIIe. livre au même électeur de Cologne.