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AGRIPPA.

referre, nisi civium vestrorum pudori parcendum et patriæ meæ rationem habendam ducerem. Sum enim et ego, si fortè neseitis, civitate vestrâ oriundus, et primâ pueritiâ apud vos enutritus [1]. Thevet, par une plus grande faute, a débité qu’Agrippa naquit à la ville de Nestre[2]. Je ne sais rien du père de notre Agrippa, sinon qu’il servit la maison d’Autriche[3], et qu’il mourut vers le commencement de l’année 1518[4].

(C) Il servit sept ans dans l’armée d’Italie. ] Le sieur Freher, qui ne se hasarde que rarement à sortir des bornes de ceux qu’il copie, a voulu ici agir en maître, et faire voir qu’il pouvait dire ce que Melchior Adam n’avait point dit. Mal lui en a pris ; car il fait commencer ces sept années à l’an 1508, et finir à l’an 1515. S’il avait bien su son Agrippa, il n’aurait pas ignoré que cet auteur était en Espagne l’an 1508 ; à Dôle l’an 1509 ; en Angleterre l’an 1510. Il faut que cette semaine d’années ait commencé en 1511, et qu’Agrippa ait prétendu avoir passé au service militaire de l’empereur tout le temps qu’il demeura en Italie. Mais ses propres lettres l’eussent trahi, si l’on se fût mis à compter. On ne voit point que depuis qu’il monta en chaire à Pavie, en 1515, il ait eu de l’emploi dans les armées. Quant au reste, le sieur Freher, en tout ce qu’il copie de Melchior Adam, se contente des fautes de cet auteur, il n’y en ajoute point d’autres. Voyez son Théâtre, à la page 1221.

(D) Il voulut joindre à ses honneurs militaires les honneurs académiques. ] Il est bon de voir comment il s’exprime. Utriusque juris et medicinarum doctor evasi, anteà etiam auratus eques ; quem ordinem non precariò mihi redemi, non à transmarinâ peregrinatione mutuavi, non in regum inthronisatione impudenti insolentiâ surripui, sed in publicis preæliis mediâ acie bellicâ virtute conmerui[5].

(E) Plusieurs langues. ] Il en savait huit ; et de ce grand nombre, il n’y en avait que deux qu’il n’entendît pas en perfection. Il nous le dira lui-même, sans faire trop le modeste : n’appréhendons pas de lui faire tort en l’estimant selon le prix où il se met. Octo linguarum mediocriter doctus, sed illarum sex adeò peritus, ut singulis non loqui modò et intelligere, sel et eleganter orare, dictare, et transferre noverim, tùm præter multimodam etiam abstrusarum rerum cognitionem, peritiam, et cyclicam eruditionem, utriusque juris et medicinarum doctor evasi[6]. Il travailla de fort bonne heure à la pierre philosophale, et il paraît qu’on l’avait vanté à quelques princes comme un excellent sujet pour le grand œuvre[* 1] ; ce qui mit quelquefois en risque sa liberté[7]. Il est sûr qu’un homme, qu’on croirait capable de faire de l’or, aurait à craindre que quelque prince ne l’emprisonnât. On voudrait se servir de lui, et empêcher que d’autres princes ne s’en servissent.

(F) Il fit des leçons publiques à Dôle. ] Il semble se contredire lui-même sur ce sujet ; car tantôt il assure qu’il les fit sans avoir de gages, et tantôt qu’il avait des gages : Publicis prælectionibus, quas ad honorem Illustrissimæ Principis Margaretæ et unici studii Dolani feci gratis. C’est ainsi qu’il parle dans sa plainte contre le cordelier Catilinet[8]. Mais ailleurs, il dit qu’il fut agrégé au corps des professeurs en théologie, et gratifié d’une pension. In Dolâ Burgundiæ publ. lecturâ sacras literas professus sum, ob quam ab hujus studii doctoribus in collegium receptus, insuper regentiâ et stipendiis donatus sum [9]. Le moyen d’accorder ces choses est de dire qu’au commencement il lisait gratis, et dans la suite pour de l’argent.

(G) La lettre obligeante qu’il reçut

  1. * Joly pense que ce ne fut pas son talent pour le grand œuvre qui compromit sa liberté, mais les découvertes qu’il avait faites de machines de guerre et de moyens de destruction. Il développe son opinion dans une note très-longue et curieuse.
  1. Agrippa, Epist. XXVI, lib. VII, pag. 1041.
  2. Thevet, Histoire des Hommes illustres, tom. VII, pag. 222. Édit. de Paris, en 1671, en 7 vol. in-12.
  3. Agrippa, Epist. XVIII libri VI, p. 970.
  4. Idem, Epist. XIX libri II, pag. 736.
  5. Idem, Epist. XXI libri VII, pag. 1021. Voyez aussi pag. 735, 977.
  6. Idem, Epist. XXI libri VII, pag. 1021
  7. Idem, Epist. IV et X libri I.
  8. Idem, Operum tom. II, pag. 510.
  9. Idem, Defens. Proposit., pag. 596.