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AGREDA.

Vierge. Dieu et la Vierge lui réitérèrent le même commandement. Elle commença d’obéir le 8 de décembre[a] 1655. Elle divisa cet ouvrage en trois parties contenues en huit livres, qui ont été imprimés à Lisbonne, à Madrid, à Perpignan et à Anvers. Le premier a été traduit d’espagnol en français sur l’édition de Perpignan, par le père Croset, récollet. Cette traduction fut imprimée à Marseille l’an 1696[b]. Il y a tant de folies dans cet ouvrage (A), si capables néanmoins de plaire aux dévots outrés de la sainte Vierge, que la faculté de théologie de Paris jugea à propos de le censurer (B). Elle en vint à bout, malgré les oppositions et les vacarmes épouvantables d’une partie des docteurs qui la composent (C). Cette censure, quelque juste qu’elle soit, n’a pas laissé de scandaliser une infinité de gens. On croit que la prévision de ce scandale obligea la compagnie à insérer dans son acte une déclaration (D), qui eût été sans cela bien superflue, puisqu’il ne s’agissait point des choses spécifiées dans cette déclaration. N’oublions pas que le père de Marie d’Agreda se fit moine dans un couvent de l’ordre de Saint-François, où deux de ses fils étaient déjà religieux, et qu’il y vécut avec un grand exemple et y mourut saintement[c]. Encore moins faut-il oublier qu’on travaille à Rome à faire canoniser Marie d’Agreda. Voyez la remarque (C), au commencement.

  1. C’est le jour de la Conception de la Vierge, dans le calendrier.
  2. Tiré du Journal des Savans, du 16 de janvier 1696.
  3. Journal des Savans, du 16 de janvier 1696, pag. 51.

(A) Il y a tant de folies dans cet ouvrage. ] « On y voit qu’aussitôt que la Vierge fut venue au monde, le Tout-Puissant ordonna aux anges de transporter cette aimable enfant dans le ciel empyrée ; ce qu’ils firent plusieurs fois. Que Dieu assigna cent de chacun des neuf chœurs des anges, c’est-à-dire neuf cents pour la servir, et qu’il en destina douze autres pour la servir en forme visible et corporelle, et encore dix-huit des plus relevés qui descendaient par l’échelle de Jacob, pour faire les ambassades de la reine au grand roi. Que pour mieux ordonner cet invincible escadron, on y mit à la tête le prince de la milice céleste, saint Michel. Que la première conception du corps de la très-sainte Vierge se fit en un jour de dimanche correspondant à celui de la création des anges. Que si la Vierge ne parla pas dès sa naissance, ce n’est pas qu’elle ne le pût faire ; c’est qu’elle ne le voulut pas. Qu’avant l’âge de trois ans elle balayait la maison et les anges l’aidaient, etc. » Il y a je ne sais combien de pareilles imaginations. Voilà les extraits qu’un journaliste protestant en a donnés[1]. Un autre journaliste qui est un bon catholique, nous assure[2], qu’on ne trouve dans les six premiers chapitres que des visions par lesquelles la sœur Marie de Jésus dit que Dieu lui découvrit les mystères de la sainte Vierge, et les décrets qu’il fit de créer toutes choses.... que, dans le vingtième chapitre [3], elle fait le récit de ce qui arriva à la sainte Vierge, pendant les neuf mois qu’elle fut dans le sein de sainte Anne ; qu’elle vient ensuite à la naissance de la sainte Vierge, un nom qui lui fut donné, aux Anges qui furent chargés de sa garde, aux occupations des dix-huit premiers mois de son enfance, à l’entretien qu’elle eut avec Dieu à la fin de ces dix-huit mois, à ses conversations avec saint Joachim et sainte Anne, et aux saints exercices

  1. Histoire des Ouvrages des Savans, novembre 1696, pag. 140, 141.
  2. Journal des Savans du 16 de janvier 1696. pag. 52.
  3. Là même, pag. 53.