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AGATHON.

narque que l’automne donne des fleurs et des fruits aussi-bien que le printemps. Il parle ensuite d’Agathon poëte tragique, et d’Agathon poëte comique.

(C) Qu’Agathon mourut à la cour d’Archelaüs. ] Ἀρχελάῳ τῷ ϐασιλεῖ μέχρι τελευτῆς μετὰ ἄλλων πολλῶν συνῆν ἐν Μακεδονία[1] : c’est-à-dire, il demeura avec plusieurs autres dans la Macédoine auprès du roi Archelaüs jusqu’à sa mort. Cela peut signifier, ou jusqu’à la mort d’Archelaüs, ou jusqu’à la mort d’Agathon. C’est pourquoi je ne donne point ces paroles comme une preuve certaine.

(D) Qu’il ne vivait plus lorsque la comédie des Grenouilles fut jouée. ] Nous y trouvons ces trois vers :

Η Ρ. Ἀγάθων δὲ ποῦ᾽ ςιν ; Δ Ι. ἀπολιπών μ᾽ ἀποίχεται,
Ἀγαθὸς ποιητὴς, καὶ ποθεινὸς τοῖς ϕίλοις.
Η Ρ. Ποῖ γῆς ὁ τλῆμων ; Δ Ι. ἐς μακάρων εὐω χίαν[2].

He. Ubi verò est Agatho ? Ba. Reliquit me, et abiit,
Bonus poeta, et amicis optatissimus.
He. Quò abiit miser ? Ba. Ad beatorum conviviunt.

(E) Qui confirment ce que l’on a dit de sa passion pour les antithèses. ] M. Kuhnius a rapporté trois sentences d’Agathon dans la vue de faire sentir ce goût[3]. Les deux premières ont été citées par Aristote, et l’autre par Athénée. Le sens de celle-ci est : Si je vous dis la vérité, je ne vous plairai point ; et si je vous plais, je ne vous dirai pas la vérité[4]. Celles qu’Aristote allégue signifient, l’une, que la seule chose qui est impossible à Dieu, est de faire que ce qui a été fait n’ait été fait[5] : l’autre, que la fortune aime l’art, et que l’art aime la fortune [6]. Vossius s’est imaginé que cette dernière sentence est d’Agathon le comique[7] ; mais il eût mieux fait de la donner au tragique et de prendre garde que l’esprit d’antithèse la lui adjuge. Je dis ceci, sans prétendre qu’il soit certain qu’Agathon poëte tragique diffère d’Agathon poëte comique. M. Moréri, selon sa coutume, a copié Vossius. Je m’étonne que M. Kuhnius n’ait pas allégué ceci :

Τὸ μὲν πάρεργον ἔργον ὡς ποιούμεθα,
Τὸ δ᾽ ἔργον ὡς πάρεργον ἐκπονούμεθα[8].

Operis loco ducimus accessorium,
Et in opere satagimus ut accessorio.

(F) Une maxime de très-bon sens sur la tromperie des apparences. ] Agathon observe qu’il est vraisemblable que plusieurs choses arrivent qui ne sont pas vraisemblables. Εἰκὸς γίνεσθαι πολλὰ καὶ παρὰ τὸ εἰκὸς. Verisimile est et multa fieri præter verisimile. C’est ainsi que Vossius rapporte cette sentence, et il observe qu’Aristote l’a alléguée en plus d’un endroit [9]. Voici de quelle manière ce grand philosophe l’a citée dans le chapitre XXIV du IIe. livre de sa Rhétorique.

Τάχ᾽ ἄν τὶς εἰκὸς αὐτὸ τοῦτ᾽ εἶναι λέγοι,
Βροτοῖσι πολλὰ τυγχάνειν οὐκ εἰκότα[10].

Fortassè aliquis verisimile id ipsum esse dixerit,
Mortalibus multa evenire non verisimilia.

On peut comparer à cette maxime celle de saint Bernard : Ordinatissimum est, minùs interdùm ordinatè fieri[11] : c’est-à-dire, il est tout-à-fait de l’ordre que de temps en temps il se fasse quelque chose contre l’ordre. M. de Balzac rapporte si mal cette pensée d’Agathon, qu’il fait d’une très-belle maxime un mensonge affreux. Combien que les affaires du monde, dit-il[12], changent quelquefois de cours, prenant un autre chemin que le leur accoustumé, et que cela seulement soit vraisemblable, ainsi que disoit Agathon, que beaucoup de choses arrivent contre la vraisemblance ; toutes fois, communément parlant, semblables entreprises produisent semblables événemens. L’adverbe seulement produit là un monstre ; et, si c’était une faute d’impression[13], je

  1. Schol. Aristoph. in Ran., act. I, scen. II.
  2. Aristophan. in Ranis, act. I, scen. II, vs. 46.
  3. Gustum antithetorum Agathonis dare possumus. Kuhnius in Æliani, lib. XIV, cap. XIII, pag. 735.
  4. Athen., lib. V, cap. XIII, pag. 211.
  5. Arist. Ethic. Eudemior., lib. V, cap. II, pag. 182.
  6. Id. ibid., cap IV, pag. 183.
  7. Vossius, de Poetis Græcis, pag. 59.
  8. Agath. apud Athen., lib. V, initio.
  9. Vossius, Institut. Poetic., lib. I, p. 16.
  10. Agath. apud Arist. Rhetoric., lib. II, cap. XXIV, pag. 448.
  11. Bernard Epist. CCLXXVI ad Eugen. III.
  12. Balzac, dans son Prince, num. 142, pag. 100 Édit. de Rouen, en 1632, in-4.
  13. Seulement, au lieu de sûrement. Notez qu’il y a des gasconismes où seulement signifie