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AGAR.

un peu après d’Ismaël, qui fut élevé chez son père jusqu’à l’âge de quinze ou seize ans pour le moins (F). On ne sait pas si la concorde des deux femmes fut bien grande pendant ce temps-là ; mais on sait qu’enfin Agar fut obligée de décamper avec son fils. Sara le voulut absolument, et cela pour avoir vu qu’Ismaël se moquait de quelque chose (G). Abraham congédia la mère et l’enfant, avec un très-petit viatique ; la bouteille d’eau qu’il leur donna ayant été vidée, la pauvre Agar vit l’heure que son fils mourait de soif (H). De peur d’être présente à ce spectacle, elle s’écarta du lieu où elle avait mis Ismaël. Un ange vint à son secours, et lui découvrit un puits où elle remplit sa bouteille ; par ce moyen elle sauva la vie à son enfant. Elle le maria ensuite à une femme d’Égypte. Voilà jusqu’où l’Écriture conduit son histoire. C’est sans aucune raison que plusieurs rabbins prétendent qu’Agar est la même que Kethura, qui fut femme d’Abraham après la mort de Sara[a]. Mais cette erreur est infiniment plus supportable que la ridicule superstition des Sarrasins, qui honoraient comme une sainte relique la pierre sur laquelle Agar (I), disaient-ils, accorda la dernière faveur à Abraham. Leurs écrivains ne marquent pas cette raison, et ne reconnaissent qu’un rapport très-éloigné entre Agar et cette pierre (K). Un auteur cité par Eusèbe voulait sans doute parler d’Agar lorsqu’il disait qu’Abraham épousa une servante égyptienne, dont il eut une douzaine d’enfans qui s’emparèrent de l’Arabie, et la partagèrent entre eux[b]. Les rabbins ont avancé une autre fable, savoir qu’Ismaël ressuscita avant que de naître ; car, disent-ils, sa mère perdit son fruit en punition de sa vanité et par les fatigues du voyage ; mais sa déférence pour l’ange, qui lui conseilla de s’humilier sous sa maîtresse, obligea Dieu à ranimer son enfant.

Cornélius à Lapide assure dans la page 171 de son Commentaire sur le Pentateuque, que Tostat a cru cette rêverie. C’est à tort que l’on accuse Calvin d’avoir vomi les injures les plus grossières contre Abraham et Sara, au sujet du concubinage d’Agar ; mais on a plus de raison de trouver faible l’apologie de saint Augustin pour cette conduite du patriarche. Voyez les remarques (I) et (K) de l’article de Sara.

  1. Targum Jonathanis. Paraphrasis Hierosolymitana, Jarchius, R. Eliezer, apud Heideg. Hist. Patriarch., tom. II, pag. 136.
  2. Melo, apud Alexand. Polyhist. citante Euseb. Præp. Ev., lib. IX, cap. XIX.

(A) Comme font les Juifs. ] On croit que le paraphraste chaldéen est le premier qui ait publié cette fausse tradition. Il prétend que Pharao, ayant enlevé Sara, lui donna sa propre fille Agar pour servante, et que Sara la fit venir avec elle au pays de Chanaan ; c’est aussi la pensée du rabbin Josué[1]. Un autre rabbin conte la chose comme si Pharao, ayant remarqué les prodiges qui s’étaient faits sur sa personne depuis qu’il avait enlevé Sara, avait dit à Agar : Ma fille, il vaut mieux que tu sois servante dans cette maison-là que maîtresse dans une autre[2]. Mais Abrabam Zachuth ne la fait point d’une si bonne maison ; il se contente de

  1. R. Josua, filius Karcha, In Pirke Eliezer, cap. XXVI, apud Heidegg., Histor. Patriarch., tom. II, pag. 192.
  2. Salom. Jarchi, apud Heideg., ibidem.