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ADRASTE.

συνεχῶς χρῶιενοι θρίδαξι. Eâ quidem allegoriâ poëtis innuentibus, qui assiduè lactucâ vescuntur, ad Venerem esse invalidos. Il ne faut point se faire une affaire de ce que Nicander aurait mêlé fort confusément l’allégorie avec la fable ; car les poëtes sont tout pleins de ce mélange. Remarquons de plus qu’il a entendu très-mal le mot qu’il a voulu expliquer : Βρένθιν λέγεσθαι ϕησὶ παρὰ Κυπρίοις θρίδακα[1]. Lactucam à Cypriis dicit vocari Brenthin. Il a pris un sapin pour une laitue[2]. Cette faute l’a dû conduire à changer la tradition ; car il a bien vu qu’il eût été ridicule de supposer qu’Adonis se réfugia sous une laitue. Il a donc conté qu’elle lui servit d’aliment.

(L) Ils n’ont pas dit tous qu’il soit mort de sa blessure. ] Consultez sur cela le troisième tome de la Bibliothéque universelle[3]. On peut ajouter aux remarques que l’on y trouve un passage de Ptolomée fils d’Héphestion [4] : c’est celui où il est dit que ce vers de l’Hyacinthe d’Euphorion,

Κωκυτὸς μοῦος τὸν ἀϕελκέα νίψεν Ἀδωνιν,
Solus Cocytus sua vulnera lavit Adonim,


n’a pas été entendu. Il signifie tout autre chose que ce que l’on pense ; car il nous apprend qu’un certain Cocyte, disciple de Chiron, avait guéri Adonis de la blessure du sanglier. Les cérémonies de la fête nous doivent persuader qu’Adonis n’en mourut pas. On s’affligeait au commencement, comme s’il eût été mort ; et ensuite l’on se réjouissait, comme s’il fût revenu au monde. « Il n’est pas difficile de deviner que l’on a formé cette fable sur quelques expressions fortes des Égyptiens ou des Phéniciens, qui disaient que ceux qui étaient guéris d’une grande maladie, ou échappés d’un grand péril, avaient été tirés du tombeau. On en trouve divers exemples dans les psaumes [5]. Ajoutez à cela que c’était la coutume des Orientaux, de consacrer des figures d’or des parties du corps dans lesquelles ils avaient été incommodés. On en trouve un exemple dans le Ier. livre de Samuel, ch. VI, vs. 4. Adonis, ayant été blessé dans l’aine, et étant guéri de sa blessure, il consacra un phallus d’or... L’on avait un très-grand respect pour cette figure dans les mystères d’Osiris[6]. » Nous trouvons ici la confirmation de la remarque précédente : les nuages se dissipent ; on commence à voir le jour. Vénus crut avoir perdu pour jamais, non pas la vie, mais le sexe de son mari ; soit qu’effectivement un sanglier lui eût maltraité cette partie, soit qu’un sortilége, ou bien quelque autre principe que nous ne connaissons pas, y eût jeté un dévolu et une funeste mortification ; voilà le sujet de ses larmes. Mais la plaie ayant été consolidée, ou le charme ayant été levé, Vénus se persuada que son mari ressuscitait, et qu’il lui revenait du plus profond des enfers : voilà le sujet de sa joie ; et afin de conserver la mémoire de tout cela plus mystérieusement, et plus honorablement tout ensemble, il fut dit que tous les ans la fête d’Adonis serait célébrée de telle et de telle manière. Il serait aisé d’adapter à cette hypothèse les explications de Macrobe : son soleil descendant aux parties inférieures du zodiaque, et puis remontant aux supérieures : son sanglier, l’image du froid, et par conséquent de ceux qui appartiennent au titre du Droit canonique De frigidis et maleficiatis : sa Vénus désolée, à cause qu’elle est veuve de son soleil, et puis riante au retour de ce bel astre qui la rend féconde. Chacun voit qu’il ne serait pas difficile de faire usage des conventions de Vénus et de Proserpine, je veux dire de ces semences concentrées au sein de la terre pendant quelques mois, dont elles sortent ensuite pour la propagation de l’espèce.

  1. Athenæus, lib. II, cap. XXVIII, p. 69.
  2. Voyez la Bibliothéque Universelle, tom. III, pag. 28.
  3. Pag. 31.
  4. Apud Photium, pag. 472.
  5. Biblioth. Univers. tom. III, pag. 31.
  6. La même, pag. 33.

ADRASTE, roi d’Argos, fils de Talaüs et de Lysianasse[a], fille de Polybe, roi de Sicyone, s’acquit une grande réputation dans la fameuse guerre de Thèbes, où il s’engagea pour soutenir les droits de Polynice son

  1. Pausan., lib. II, pag. 50.