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ADONIS.

pièces. L’une des plaintes que Vénus fait de son fils dans les Dialogues de Lucien, est qu’il l’envoie courir tantôt sur le mont Ida pour Anchise, tantôt sur le mont Liban pour le bel Assyrien, dont il lui enlevait la moitié, par le soin qu’il avait pris de le faire aimer de Proserpine.[1] Arnobe[2] et Clément Alexandrin[3] ont parlé des amours de cette dernière déesse pour Adonis : et c’est sans raison que Sylburgius voudrait mettre dans le père grec Ἀιδωνεῖ, au lieu de Ἀδώνιδι ; car, si on lisait Ἀιδωνεῖ, on ferait dire à Clément Alexandrin une fausseté : savoir, que l’amour de Proserpine pour Pluton était un adultère. Méziriac est l’auteur de cette dernière remarque. Voyez la page 403 de son Commentaire sur les épîtres d’Ovide. Le jugement de Calliope me fait souvenir de ces deux vers :

Et vitulâ tu dignus et hic, et quisquis amores,
Aut metuet dulces, aut experietur amaros[4].

(H) Vous dit là-dessus le blanc et le noir. ] D’un côté, et avec peu de vraisemblance, qu’Adonis séjournait six mois chez Proserpine, et six mois chez Vénus, sans les toucher, lit à part : Ἅνευ τοῦ συγκαθεύδειν καὶ προςερνίζεσθαι[5] ; et de l’autre, qu’il passait six mois entre les bras de Proserpine, et autant entre les bras de Vénus : Ἕξ μῆνας ἐποίησεν ἐν ταῖς ἀγκάλαις τῆς Ἀϕροδίτης, ὥσπερ καὶ ἐν ταῖς ἀγκάλαις τῆς Περσεϕόνης[6]. Remarquez qu’on disait quelque chose de semblable touchant les conventions de Cérès et de Pluton ; savoir, qu’il fut accordé que Proserpine demeurerait avec lui six mois, et qu’elle irait achever l’année chez Cérès. Les anciens n’étaient point assez féconds, ils appliquaient à trop de sujets le dénoûment de leurs fables. D’ailleurs, l’Égypte, la Phénicie, l’île de Cypre, qui ont été la scène d’Adonis, ne sont pas assez éloignées du soleil, depuis le mois de septembre jusqu’au mois de mars, pour qu’on puisse dire qu’Adonis est alors dans le sépulcre, ou dans les enfers : et je ne sais pas à quoi songeait M. Moréri, avec ces six mois que les jours sont si courts et les nuits si longues. Dans les pays dont je parle, la différence du plus long jour de l’année, et du plus court, ne donne point lieu à cette expression. Il y aurait bien d’autres choses à corriger dans l’Adonis de cet auteur.

(I) Que le prophète Ézéchiel a parlé de la fête d’Adonis. ] Saint Jérôme a cru que le Thammus de ces paroles d’Ézéchiel : Il me fit entrer par l’huis de la porte de la maison de l’Éternel qui est vers Aquilon ; et voici il y avoit là des femmes qui estoient assises pleurantes Thammus[7], est Adonis. Il n’a pas oublié de remarquer les deux faces de cette fête : d’abord on pleurait Adonis comme mort ; et puis on le chantait, et on le louait comme revenu au monde : Plangitur à mulieribus quasi mortuus, et posteà reviviscens canitur atque laudatur[8]. Saint Cyrille nous apprend diverses particularités de cette fête. Il dit qu’on la célébrait encore dans Alexandrie [9], et quand il explique ces paroles, malheur sur le pays... qui envoie par mer des ambassadeurs, et ce en des vaisseaux de jonc sur les eaux [10], il veut qu’on les entende des lettres que l’on envoyait pour faire savoir qu’Adonis était retrouvé. Ils prenoient, dit-il[11], un vase de terre ; et ensuite, écrivant une lettre aux femmes de Biblos, comme si Adonis eût été véritablement retrouvé, et la mettant dans ce vase, ils le scelloient, et le mettoient sur la mer, après avoir employé quelques cérémonies. Ce vase, à ce qu’ils assuroient, se rendoit de lui-même à Biblos dans certains jours de l’année, et quelques femmes chéries de Vénus l’y recevant, cessaient de pleurer, après avoir ouvert la lettre, comme si Vénus eût retrouvé son Adonis. Lucien dit qu’il a vu à Byblos la tête de carton que les Égyptiens y envoyaient tous les ans, sans autre cérémonie que de la jeter dans la mer. Les vents la portaient tout droit à Byblos dans sept jours, qui était le temps

  1. Lucian. Dialog. Veneris et Lunæ.
  2. Arnob., lib. IV, pag. 145.
  3. Clem. Alex. in Protrep., pag. 21.
  4. Virgil. Ecl. III, vs. 109.
  5. Scholiast. Theocriti, ad vs. 23, Eidyll. V.
  6. Ibid.
  7. Ezéchiel, chap. VIII, vs. 14. Je me sers de la version de Genève.
  8. Hieron., lib. III. Comment. in Ezechiel.
  9. Cyril. in Esaïam, lib. II.
  10. Esaïe, chap. XVIII, vs. 1 et 2.
  11. Cyrill. in Esaïam, liv. II. Je me sers de la Traduction de M. de Longepierre qui rapporte ce passage dans ses Notes sur Bion, pag. 45.