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ADONIS.

y voyait des temples d’Adonis[1]. Notez qu’Antonius Liberalis conte que Myrrha, qu’il appelle Smyrna, était née au mont Liban, et que son père s’appelait Theias[2]. Apparemment Panyasis lui avait donné le même nom, et non pas celui de Thoas, qu’on lit aujourd’hui dans Apollodore[3]. On le lit aussi dans Probus sur la Xe. églogue de Virgile, avec cette circonstance, que ce Thoas était roi de Syrie et d’Arabie : c’est d’Antimachus que Probus emprunte cela.

(B) Vénus.... l’enleva. ] Ce fait n’a été guère remarqué par les anciens écrivains : je m’en étonne, car il était connu d’un chacun. Les peintres en faisaient la matière de leurs tableaux, tout comme du ravissement de Ganymède : c’est ce que Plaute nous apprend :

Me. Dic mihi : numquà vidisti tabulam pictam in pariete,
Me. Ubi aquila calamitum raperet, aut ubi Venus Adoneum ?
Pe. Sæpè[4].

(C) Le ciel lui sembla un séjour peu agréable en comparaison.... des bois où elle suivait Adonis, qui était un grand chasseur. ] Lisez ce passage d’Ovide :

Abstinet et cælo : cælo præfertur Adonis.
Hunc tenet : huic comes est : assuetaque semper in umbrâ
Indulgere sibi, formamque augere colendo,
Per juga, per sylvas, dumosaque saxa vagatur[5].


Virgile représente Adonis sous une autre idée que sous celle de chasseur :

Nec te pœnitas pecoris, divine poëta,
Et formosus oves ad flumina pavit Adonis[6].


Peu de gens, ce me semble, ont parlé de ce mignon de Vénus comme d’un berger. Servius débite sur ce passage certaines choses qui ne sont pas moins éloignées de la traditive commune que celle-là. Quelques-uns ont dit que cette inclination pour la chasse était l’ouvrage des Muses[7]. Elles voulaient du mal à Vénus, de ce qu’elle avait inspiré à plusieurs d’entre elles de l’amour pour les mortels. Afin d’en tirer vengeance, elles chantèrent devant Adonis quelques airs qui lui donnèrent une passion violente pour la chasse. C’est peut être par-là qu’il devint odieux à Diane ; car gens de même métier ne s’aiment pas trop. Quelques-uns ont dit que la colère de Diane fut cause qu’un sanglier tua ce jeune homme[8].

(D) Lorsqu’un sanglier lui eut tué son cher Adonis. ] Théocrite feint que Vénus s’étant fait amener ce sanglier, le querella rudement ; mais qu’il lui fit ses excuses sur la passion violente qui l’avait saisi à la vue d’une si belle cuisse. Il la voulut baiser, et le fit d’une manière trop emportée, il en eut tant de regret, qu’il trouva que ses défenses méritaient d’être coupées, et qu’il les brûla lui-même[9]. C’est ainsi qu’un écrivain docte et poli[10] a expliqué le dernier vers de cette idylle de Théocrite. Les éditions portent ἔκαιε τὼς ἔρωτας, excussit amores ; mais il croit qu’il faudrait lire ὀδόντας dentes, au lieu d’ἔρωτας. Ce terrible baiser me fait souvenir d’une pensée du cavalier Marin : il introduit le dieu Pan, qui se vante que les taches qu’on voit sur la lune sont les impressions des baisers qu’il lui a donnés. Il fallait qu’il y allât d’une grande force. Quelles caresses ! pour peu qu’on y ajoutât, elles ressembleraient à celles des singes. On dit qu’ils étouffent quelquefois leurs petits à force de les caresser. Qu’aurait dit Horace sur tout ceci, puisque pour une bien plus petite chose il a parlé de cette manière ?

........ Sive puer furens
Impressit memorem dente labris notam.
Non, si me satis audias,
Speres perpetuum dulcia barbare
Lædentem oscula, quæ Venus
Quintâ parte sui nectaris imbuit[11].


Nous parlerons peut-être de ces sortes de morsures dans l’article Flora.

Notez qu’un très bon critique m’a fait savoir que la correction ὀδόντας pour ἔρωτας n’est point nécessaire. La

  1. Strab., lib. XVI, pag. 520.
  2. Antonin. Liberalis, cap. XXXIV.
  3. Vide Munckeri Notas in Hygin., cap. LVIII.
  4. Plaut. in Menæchmis, act. I, scen. II, vs. 34.
  5. Ovid. Metam., lib. X, vs. 532.
  6. Virgil. Eclog. X, vs. 17.
  7. Tzetzès sur Lycophon.
  8. Apollod., lib. III, pag. 238.
  9. Theoc. Εἰδύλλ. XXXI, ou XXX selon d’autres éditions.
  10. M. de Longepierre. Voyez sa traduction de Bion pag. 47, édit. de Paris, en 1686, in-12.
  11. Horat. Od. XIII, lib. I, vs. 11.