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ADAM.

d’erreurs[* 1], que cette faiblesse n’est pas si criminelle que Dieu ne la souffre en la personne des auteurs qu’il inspire, et que nous appelons canoniques…. et que le feu naturel de saint Paul était bien capable de le porter dans des expressions de cette nature… Pour prouver qu’il y a quelquefois de la faiblesse dans les auteurs canoniques, et qu’ils parlent suivant leur imagination dans l’expression des choses que Dieu leur a révélées, il dit que lorsque le prophète Élie se plaint de l’impiété de son siècle, il dit à Dieu, que la foi est éteinte dans le cœur de tous les hommes, et qu’il est resté seul de tous ceux qui l’adoraient sur la terre… David assure que l’on n’a jamais vu plus de désordre et plus de corruption que de son temps, qu’il ne se trouve pas un seul homme qui fasse une bonne action. » Voilà le dogme que les censeurs du père Adam lui reprochèrent. Il en résultait que la doctrine inspirée, et l’expression de l’inspiré, étaient deux choses différentes ; que Dieu était l’auteur unique de la première ; mais qu’il laissait l’autre à l’imagination de celui qu’il inspirait, et qu’il n’empêchait pas que cette imagination n’allât plus loin que le Saint-Esprit. C’était sans doute la pensée du père Adam ; car l’exemple d’Élie et de David, qu’il allègue, ne servirait de rien à un homme qui serait persuadé que Dieu révéla qu’Élie était le seul adorateur du vrai Dieu, et qu’au temps de David il n’y avait pas un seul honnête homme sur la terre. Il faut donc que celui qui emploie ces exemples soit persuadé que Dieu n’avait point révélé cela, mais seulement que le nombre des gens de bien était petit. Sur ce pied-là, l’imagination de l’inspiré rend universel ce qu’on lui donne avec restriction : elle tombe dans le sophisme, à dicto secundùm quid, ad dictum simpliciter ; en un mot, elle sophistique la révélation, elle trompe l’Église, elle ment. Les jansénistes ne manquèrent pas de s’écrier que cette doctrine état impie, et qu’elle ouvrait la porte à mille attentats contre l’autorité de l’Écriture[1] : Car si Dieu souffre, dirent-ils[2], quelque faiblesse dans les auteurs canoniques qu’il inspire ; s’il y a un feu naturel en saint Paul, qui ne soit point celui de Dieu, tout ce qu’un libertin ou un hérétique trouvera dans les livres saints contre son sentiment, il dira que c’est ce qui vient de la faiblesse ou du feu naturel de l’homme et non de l’esprit de Dieu… Vouloir reconnaître dans l’Écriture quelque chose de la faiblesse et de l’esprit naturel de l’homme, c’est donner la liberté à chacun d’en faire le discernement, et de rejeter ce qu’il lui plaira de l’Écriture, comme venant plutôt de la faiblesse de l’homme que de l’esprit de Dieu… Le libertin dira que le feu de l’enfer ne durera pas toujours, et que lorsque saint Matthieu a dit, allez maudits au feu éternel, c’est une expression excessive, pour marquer la longue durée et la grandeur des peines préparées aux méchans, suivant l’imagination de cet évangéliste [3]. Ces messieurs prétendirent que le père Adam n’en avait jamais usé ainsi que pour se pouvoir défaire des expressions de saint Paul, qui lui sembleraient dures et contraires à ses sentimens, et pour enseigner l’art de se jouer de la force invincible des paroles du docteur des nations sur la grâce et sur la prédestination divine, aussi-bien que celles de saint Augustin. S’il se voit pressé par le chapitre neuvième de l’épître aux Romains, où saint Paul dit, que Dieu fait miséricorde à celui qu’il veut, et endurcit celui qu’il veut, il pourra répondre que c’est le feu naturel de saint Paul qui l’a porté dans des expressions de cette nature ; que c’est la faiblesse que Dieu souffre dans les auteurs canoniques ; que c’est l’expression d’une chose révélée suivant l’imagination, le naturel et le tempérament de saint Paul[4]. Je ne rapporte point ce qu’ils répondaient sur ce qui avait été cité d’Élie et de David : je dirai seulement qu’ils trouvèrent une grosse erreur de fait dans la première de ces citations ; car l’auteur canonique qui a rapporté la plainte d’Élie, ne l’a point rapportée comme l’expression d’un homme inspiré, mais comme l’expression d’un homme qui se

  1. (*) Troisième partie, chap. VII, pag. 622.
  1. Défense de saint Augustin contre le père Adam, pag. 11.
  2. Là même.
  3. Là même, pag. 16.
  4. Conférez ce qui est dit page 374 de l’Avis aux Réfugiés.