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ADAM.

cette montagne quelques monumens des pleurs qui furent versés sur la mort d’Abel ; mais d’autres disent qu’Adam et Ève pleurèrent cette mort dans une caverne qui est en Judée, où l’on voit leurs lits de pierre longs de trente pieds[1].

(K) De ses livres. ] Les Juifs prétendent qu’Adam fit un livre sur la Création du monde, et un autre sur la Divinité[2]. Masius parle du premier [3]. Un auteur mahométan, nommé Kissæus, rapporte qu’Abraham, étant allé au pays des Sabéens, ouvrit le coffre d’Adam, et y trouva ses livres avec ceux de Seth et avec ceux d’Édris[4]. Ce dernier nom est celui que les Arabes donnent à Énoch. Ils disent qu’Adam avait une vingtaine de livres tombés du ciel qui contenaient plusieurs lois, plusieurs promesses et plusieurs menaces de Dieu, et les prédictions de plusieurs événemens[5]. Quelques rabbins attribuent le psaume XCII à Adam, et il se trouve des manuscrits où le titre chaldaïque de ce psaume porte, que c’est la louange et le cantique que le premier homme récita pour le jour du sabbat[6]. Le bon Eusèbe Nieremberg, la crédulité même, rapporte deux cantiques qu’il a fidèlement copiés de l’apocalypse du bienheureux Amadeus dans la bibliothéque de l’Escurial [7]. Adam, dit-on, est l’auteur de ces deux pièces : il fit l’une la première fois qu’il vit Ève ; l’autre est le psaume pénitentiel que lui et sa femme récitèrent après leur péché.

(L) De son sépulcre. ] Nous avons déjà vu que saint Jérôme s’est imaginé sans nul fondement qu’Adam avait été enterré à Hebron ; mais on n’aurait pas moins de droit de croire cela avec lui, que de penser avec tant d’autres qu’Adam fut enterré sur le Calvaire[8]. J’avoue que cette dernière opinion est meilleure per la predica ; car elle est beaucoup plus féconde en allusions, en antithèses, en moralités, et en toutes sortes de belles figures de rhétorique : mais une semblable raison n’est guère propre qu’à servir de preuve envers ceux qui demanderaient pourquoi le sentiment de saint Jérôme a eu moins de sectateurs que l’autre. Concurrence à part, qu’il nous suffise de savoir que les pères ont cru fort communément que le premier homme mourut au lieu où Jérusalem fut bâtie depuis, et qu’on l’enterra sur une montagne voisine qui a été appelée Golgotha ou le Calvaire : c’est celle où Jésus-Christ fut crucifié. Si vous demandez comment le sépulcre d’Adam a pu résister aux eaux du déluge, et comment ses os ont pu maintenir leur place afin d’y recevoir l’aspersion du sang de notre Seigneur : car c’est là le point et le mystère,

Hic hominem primum suscepimus esse sepultum,
Hic patitur Christus : pia sanguine terra madescit,
Pulvis Adæ ut possit, veteris cum sanguine Christi
Commixtus, stillantis aquæ virtute lavari[9].


Si, dis-je, vous faites cette question, Barcepha vous alléguera un docteur fort estimé en Syrie[10], qui a dit que Noé demeura dans la Judée ; qu’il planta dans les campagnes de Sodome les cédres dont il bâtit l’arche ; qu’il transporta avec lui dans l’arche les os d’Adam ; qu’après qu’il en fut sorti, il les partagea à ses trois fils ; qu’il donna le crâne à Seun, et que les descendans de Sem, s’étant mis en possession de la Judée, enterrèrent ce crâne au même lieu où avait été le tombeau d’Adam.

(M) D’un arbre planté sur ce sépulcre. ] Cornélius à Lapide dit que les Hébreux content que Seth, par le commandement d’un ange, mit de la semence de l’arbre défendu dans la

  1. Apud Saldenum, Otiorum Theolog. pag. 346.
  2. Heidegg. Hist. Patr., tom. I, pag. 481.
  3. Vide Salian., tom. I, pag. 230.
  4. Apud Stanleium, Philosoph. Orient., lib. III, cap. III.
  5. Hotting. Hist. Orient., pag. 22, citante Lysero in Polygamiâ triumph., pag. 145.
  6. Gaspar. Schottus, Techn. Curiosæ, pag. 536.
  7. Lib. II, cap. XIII, de Orig. sacræ Script. apud Schottum, ibid., pag. 556.
  8. Voyez Salian. Ann., tom. I, pag. 225, où il montre que saint Jérôme même adopte en quelques endroits l’opinion commune.
  9. Tertulliani Carm. contra Marcion., lib. II, vs. 200.
  10. Dominus Jacobus Orrohaïta (sive Edessenus). Saint Éphrem, qui a vécu au 4e. siècle, a été son disciple. Voyez Salian. Annal., tom. I, pag. 226 ; Cornel. à Lapide in Genesim, pag. 105.