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ADAM.

Car enfin, cette forme dont le Verbe se revêtit était semblable à la forme qui fut vue par saint Pierre sur le Thabor, et par Moïse sur le mont Sinaï, et à celle que Moïse et Élie firent paraître le jour de la transfiguration. Mais ce qu’il y a de plus merveilleux, c’est qu’Adam voyait lui-même son propre ouvrier, et la manière dont son corps était formé par les belles mains de son auteur : Cùm fingeretur homo manus illas divinas aspexit ambrosiosque vultus illos, pulcherrima brachia corpus suum fingentia, singulosque artus ducentia[1]. C’est un fort habile homme qui a débité toutes ces visions[2], et il ne manque point de gens qui en approuvent une partie pour le moins.

(F) Il est faux qu’il ait été créé avec les deux sexes. ] Un grand nombre de rabbins ont cru que le corps d’Adam fut créé double, mâle d’un côté, femelle de l’autre, et que l’un des corps était joint à l’autre par les épaules : les têtes regardaient des lieux directement opposés, comme les têtes de Janus[3]. Or ils prétendent que Dieu, quand il fit Ève, n’eut besoin d’autre chose que de diviser ce corps en deux : celui où était le sexe masculin fut Adam ; celui où était le sexe féminin fut Ève. Manassé-Ben-Israël, le plus habile rabbin qui ait vécu dans le XVIIe. siècle, a soutenu ce bizarre sentiment[4], si l’on en croit M. Heidegger. Le docte Maimonides, l’honneur et la gloire de la nation judaïque, l’avait déjà soutenu [5], si l’on en croit le même témoin. Eugubin ne s’en est éloigné qu’à l’égard de la situation des deux corps ; car il prétend qu’ils étaient collés ensemble par les côtés, et qu’ils se ressemblaient en tout, hormis le sexe. Le corps mâle était à la droite et embrassait l’autre par le cou avec sa main gauche, pendant que l’autre lui rendait la pareille avec sa main droite. Chacun était animé, chacun tomba dans un profond assoupissement lorsque Dieu voulut former Ève, c’est-à-dire la séparer du corps mâle. Il ne faut que savoir lire l’Écriture pour réfuter pleinement toutes ces visions. Avant que de passer à d’autres choses, je dirai un mot de ces androgynes, dont Platon a parlé assez amplement [6]. C’étaient des corps hermaphrodites à quatre bras et à quatre jambes, et à deux visages sur un seul cou, tournés l’un vers l’autre. Cette duplicité de membres leur donnait beaucoup de force, et par là beaucoup d’insolence ; ils ne songeaient pas à moins qu’à faire la guerre aux Dieux. On délibéra dans le ciel sur la manière de les mettre à la raison, et l’avis de Jupiter passa, qui était qu’il les fallait partager en deux. Chacune des pièces conserva une forte inclination pour se réunir avec l’autre ; et voilà l’origine de l’amour, si l’on en croît ce philosophe. Mais il fallut faire des changemens à la situation de certains membres, afin que la réunion fût féconde. Je remarquerai en passant que ceux qui parlent de ces androgynes de Platon, ne rapportent pas pour l’ordinaire la chose telle qu’elle est. Ils lui font dire qu’au commencement les hommes avaient cette nature-là ; mais il ne le dit que de quelques-uns ; il reconnaît qu’il y avait aussi comme à présent des mâles et des femelles. Voyez les remarques de l’article Salmacis. L’auteur d’un livre intitulé le Nouveau Visionnaire de Rotterdam [7] assure que, selon les rabbins, Adam et Ève, avant leur péché, étaient tous deux hermaphrodites[8]. Je ne sache que lui qui attribue cette opinion aux rabbins.

(G) Les Révélations d’Antoinette Bourignon. ] Les livres de cette demoiselle font foi qu’elle a eu des sentimens fort particuliers ; mais elle n’a peut-être rien avancé de plus étrange que ce qui regarde le premier homme. Elle prétend qu’avant qu’il péchât, il avait en soi les principes des deux sexes et la vertu de produire son semblable sans le concours d’une

  1. Id. ibid.
  2. Salian. Annal., tom. I, pag. 106.
  3. Apud Heideggerum, Hist. Patriarch., tom. I, pag. 128.
  4. Conciliat. in Genesim, apud Heideggerum, Hist. Patriarch., tom. I, pag. 128. Voyez Hoornbeeck qui le réfute au chap. I du IVe. liv. de Convertendis Judæis.
  5. In Morch Nebochim, pag. 2, cap. XXX ; apud Heidegger. Hist. Patriarch., tom I, pag. 128. Mais notez, comme m’en a averti M. Van Dale, que M. Heidegger ne rapporte pas fidèlement l’opinion que Manassé-ben-Israël et Maimonides ont approuvée le plus.
  6. Plato in Convivio, pag. 1185, edit. Francof., ann. 1602.
  7. Imprimé l’an 1686.
  8. Nouv. Vision de Rotterdam, pag. 36.