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ADAM.

nier rang ce que l’on dit de sa vaste science (D) : nous ne lisons rien dans la Genèse qui ne soit moins propre à nous donner cette idée qu’à nous en éloigner. Néanmoins il pourrait être qu’Adam sortit des mains de son créateur avec les sciences infuses, et qu’il ne les perdit point par son péché, non plus que les mauvais anges ne sont pas devenus moins savans depuis leur chute, et que les crimes des gens doctes ne leur font pas perdre les sciences qu’ils possédaient. On peut mettre encore au rang des choses probables ce que disent quelques-uns touchant la beauté d’Adam (E) ; mais il est tout-à-fait faux qu’il ait été créé avec les deux sexes (F). C’est avoir bronché lourdement sur les paroles de l’Écriture [a], que de s’être imaginé une semblable rêverie. Les révélations d’Antoinette Bourignon (G) seraient alléguées mal à propos pour confirmer cette fausse glose. Autant vaudrait-il employer à cet usage les narrations romanesques de Jacques Sadeur (H). Il n’est pas plus vrai qu’Adam ait été produit avec la circoncision [b], et que, comme cela lui déplut, il ait commis la faute de ceux dont saint Paul a fait mention dans l’une de ses épîtres [c]. Rangeons aussi parmi les contes ce que l’on a dit de sa taille gigantesque (I), et de ses livres (K), et de son sépulcre (L), et d’un arbre planté sur ce sépulcre (M), etc. ; mais gardons-nous bien d’avoir sur l’affaire de son salut les incertitudes de l’abbé Rupert[d], et encore plus de le croire condamné aux flammes infernales, comme faisaient les Tatianites[e]. Rien ne nous oblige d’adopter le sentiment d’Origène, de saint Augustin, de saint Athanase, et de plusieurs autres, qu’Adam fut des premiers parmi ceux qui ressuscitèrent avec Jésus-Christ[f] : encore moins est-on obligé de croire que sa repentance l’aurait fait mourir de tristesse si Dieu ne lui avait envoyé l’ange Raziel pour le consoler[g]. Mais la raison veut que nous croyions que sa foi et ses prières lui firent trouver miséricorde, et qu’il fit une belle mort, sans que pour cela il faille s’imaginer qu’il harangua ses enfans avant que de rendre l’âme, et qu’il leur recommanda nommément d’honorer leur mère, et de l’enterrer auprès de lui. On se donne trop de liberté quand on forge de telles harangues directes (N). Nous avons rapporté ailleurs[h] ce qui se dit de la durée de son état d’innocence.

  1. Dieu donc créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il les créa mâle et femelle. Genèse, chap. I, v. 27.
  2. Les Juifs l’assurent. Voyez Bartolocci, Bibl. Rabbin., tom. I, pag. 291.
  3. Ire. Épître aux Corinthiens, chap. VII, v. 18.
  4. Ruperti Comment. in Genes., lib. III. cap. XXXI.
  5. Epiphan. Hæres. XLVI. Eusebius, Histor. lib. IV, cap. XXVII.
  6. Apud Cornel. à Lapide in Genes., cap. V, vs. 5.
  7. Vide Reuchlinum de Arte Cabbal. pag. 8 ; et Heidegger. Histor. Patriarch. tom. I, pag. 160.
  8. Dans la remarque (A) de l’article d’Abel.

(A) De la poudre de la terre. ] Photius, si l’on en croit le père Garasse [1], a rapporté que les Égyptiens disaient que la Sapience pondit un œuf dans le paradis terrestre, d’où nos premiers pères sortirent comme une

  1. Garasse, Doctr. curieuse, pag. 232.