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ACOSTA.

à ne plus négocier avec son frère. Ces procédures doivent être considérées comme l’une des raisons qui confirmaient Acosta dans ses impiétés ; car il se persuada sans doute que ces passions et ces injustices pouvaient être autorisées par quelques passages du Vieux Testament, où la loi ordonne aux frères, aux pères, et aux maris, de n’épargner point la vie de leurs frères, de leurs enfans, de leurs femmes, en cas de révolte contre la religion[1]. Et il faut savoir qu’il se servait de cette preuve contre la loi de Moïse ; car il prétendait qu’une loi qui renversait la religion naturelle ne pouvait pas procéder de Dieu, l’auteur de cette religion[2]. Or, dit-il, la religion naturelle établit un lien d’amitié entre les parens. Voyez ce que M. Limborch a répondu à ce sophisme [3].

(E) À toute rigueur la pénitence qui lui avait été d’abord proposée. ] Voici la description qu’il en fait. Une grande foule d’hommes et de femmes s’étant rendus à la synagogue pour voir ce spectacle, il rentra, et au temps marqué il monta en chaire, et lut tout haut un écrit où il confessait qu’il avait mérité mille fois la mort, pour n’avoir point gardé le jour du sabbat, ni la foi qu’il avait donnée, et pour avoir déconseillé la profession du judaïsme à des gens qui se voulaient convertir ; que pour l’expiation de ces crimes, il était prêt de souffrir tout ce qu’on ordonnerait, et qu’il promettait de ne retomber jamais dans de telles fautes. Étant descendu de chaire, il reçut ordre de se retirer à un coin de la synagogue, où il se déshabilla jusqu’à la ceinture, et se déchaussa, et le portier lui attacha les mains à une colonne : ensuite le maître chantre lui donna trente-neuf coups de fouet, ni plus ni moins ; car, dans ces sortes de cérémonies, on a soin de n’excéder pas le nombre prescrit par la loi. Le prédicateur vint ensuite, et le fit asseoir par terre, et le déclara absous de l’excommunication ; de sorte que l’entrée du paradis n’était plus fermée pour lui comme auparavant. Et ita, jam porta cœli mihi erat aperta, quæ anteà fortissimis seris clausa me à limine et ingressu excludebat[4]. Acosta reprit ses habits, et s’alla coucher par terre à la porte de la synagogue, et tous ceux qui sortirent passèrent sur lui. J’ai cru qu’on serait bien aise de trouver ici ce petit morceau des cérémonies judaïques[5].

(F). On ne sait pas au vrai en quelle année. ] Il y a beaucoup d’apparence qu’il se tua peu après la cérémonie de son absolution, enragé du traitement qu’il avait souffert contre l’espérance qu’il avait conçue d’une peine mitigée. Mais cela ne peut point fixer le temps avec précision, puisqu’on ignore l’année où il fit cette pénitence. Si l’on savait combien il y avait de temps qu’il était excommunié, quand le livre du médecin fut mis au jour, l’an 1623, il ne serait pas difficile de calculer juste ; puisqu’il observe que sa première excommunication dura quinze ans, et que la seconde en dura sept, et que celle-ci suivit de près celle-là. On suppose, dans la Bibliothéque universelle, qu’il se tua environ l’an 1647[6] ; mais d’autres disent que ce fut en 1640[7].

(G) Que cette méthode conduit peu à peu à l’athéisme, ou au déisme.] Acosta leur sert d’exemple. Il ne voulut point acquiescer aux décisions de l’Église catholique, parce qu’il ne les trouva point conformes à sa raison : et il embrassa le judaïsme, parce qu’il le trouva plus conforme à ses lumières. Ensuite, il rejeta une infinité de traditions judaïques, parce qu’il jugea qu’elles n’étaient point contenues dans l’Écriture : il rejeta même l’immortalité de l’âme, sous prétexte que la loi de Dieu n’en parle point ; et enfin, il nia la divinité des livres de Moïse, parce qu’il jugea que la religion naturelle n’était point conforme aux ordonnances de ce législateur. S’il eût vécu encore six ou sept ans, il aurait peut-être nié la religion naturelle, parce que sa misérable raison lui eût fait trouver des difficultés

  1. Voyez le livre du Deutéronome, chap. XIII.
  2. Acosta, Exemplar humanæ Vitæ, p. 352.
  3. Philippus à Limborch in Refutat. Urielis Acostæ, pag. 361, et seq.
  4. Acosta, Exemplar hum. Vitæ, pag. 350.
  5. Je l’ai tiré de l’Exemplar humanæ Vitæ, d’Acosta, pag. 349 et 350.
  6. Biblioth. Univers. tom. VII, pag. 327.
  7. Joh. Helvicus Willemerus in Dissertat. philologicâ de Sadducæis, pag. ult. Il cite Mullerus, Judaïsm. Proleg. pag. 71.