Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
188
ACOSTA.

bitarem ; quod quidem in magnum malum meum poterat recidere, tantum est in eo regno periculum de talibus loqui [1]. Nous pouvons voir là en passant, que les Espagnols et les Portugais n’ont rien oublié de tout ce que la politique la plus fine et la plus sévère peut inventer pour maintenir un parti. Ils ont employé tout cela pour le soutien du christianisme, et pour la ruine du judaïsme, et l’on aurait grand tort de les accuser d’avoir mis l’Église sous la protection céleste, avec les dispositions de ceux qui attendent tout tranquillement de l’efficace de leurs prières. On dirait plutôt qu’ils ont suivi les avis qu’un poëte païen a donnés sur une affaire d’agriculture :

Non tamen ulla magis præsem fortuna laborum est,
Quàm si quis ferro potuit rescindere summum
Ulceris os. Alitur vitium, vivitque tegendo :
Dùm medicas adhibere manus ad vulnera pastor
Abnegat, et meliora Deos sedet omina poscens[2].


Ou bien on dirait qu’ils se sont réglés sur les reproches que Caton fit aux Romains, lorsqu’il les blâma de se confier en l’assistance des Dieux, qui n’exaucent jamais les fainéans, ajoutait-il ; car la paresse est une marque de l’irritation du ciel. Vos..... inertiâ et mollitiâ animi alius alium exspectantes cunctamini, videlicet diis immortalibus confisi, qui hanc rempubl. in maximis sœpè periculis servavêre. Non votis, neque suppliciis muliebribus auxilia deorum parantur : vigilando, agendo, benè consulendo, prosperè omnia cedunt. Ubi socordiæ tete atque ignaviæ tradideris, nequicquam deos implores : irati infestique sunt[3]. Enfin on dirait que la leçon pour laquelle ils ont le plus de docilité, est la dernière partie de l’axiome qu’un auteur moderne a rapporté de cette façon. Il faut pour ainsi dire s’abandonner à la providence de Dieu, comme si toute la prudence humaine était inutile ; et il faut se gouverner par les règles de la prudence humaine, comme s’il n’y avait point de providence[4]. Ils se moqueraient sans doute de tout auteur qui les blâmerait de traiter le christianisme comme un vieux palais qui a besoin d’étançons de toutes parts, tant il menace de ruine ; et le judaïsme comme une forteresse, qu’il faut canonner et bombarder incessamment, si on le veut affaiblir. On peut justement condamner certaines manières de maintenir la bonne cause ; mais enfin elle a besoin d’aide, et la défiance est la mère de la sûreté. Voyez la remarque (B) de l’article Drabicius, et la remarque (E) de l’article Lubienietski.

(C) A des rabbins qui étaient sans juridiction. ] Il y a sans doute une grande différence entre les tribunaux que notre Acosta avait à craindre dans son pays et le tribunal de la synagogue d’Amsterdam. Celui-ci ne peut infliger que des peines canoniques ; mais l’inquisition des chrétiens peut faire mourir, car elle livre au bras séculier ceux qu’elle condamne. Je ne m’étonne donc pas qu’Acosta ait eu moins de peur pour l’inquisition des juifs que pour celle de Portugal : il savait que la synagogue n’avait point de tribunaux qui se mêlassent des procès civils ni des procès criminels ; et ainsi il regardait ses excommunications comme un brutum fulmen : il ne découvrait à la suite de cette peine canonique ni la mort ou quelque autre fonction de bourreau, ni la prison, ni les amendes pécuniaires. Il crut donc, qu’ayant eu assez de courage pour ne trahir pas sa religion en Portugal, il devait à beaucoup plus forte raison avoir la hardiesse de parler selon sa conscience parmi les juifs, dussent-ils l’excommunier ; car c’était tout ce que pouvaient faire des gens qui n’ont point de magistrature. Quia minimè decebat ut propter talem metum terga verteret ille qui pro libertate natale solum et utilitates alias contempserat et succumbere hominibus, prœsertìm Jurisdictionem non habentibus, in tali causâ nec pium nec virile erat ; decrevi potiùs omnia perferre et in sententiâ perdurare[5]. Mais il lui arriva ce qui arrive à presque tous ceux qui jugent des maux combinés. Ils s’imaginent que c’est dans l’union de deux ou trois peines que consiste l’infortune,

  1. Ibid.
  2. Virgil. Georgie lib. III, vs. 452.
  3. Sallust. in Bello Catilin. pag. 160.
  4. Cotin, Œuvres galantes, tom. I, au Discours sur la Vérité des Songes, pag. 260.
  5. Acosta, Exemplar Vitæ hum. pag. 347.