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DE LA ONZIÈME ÉDITION.

siéges. Lefort, embarrassé de sa personne après cette déroute et la perte de son équipage, accepta, sans beaucoup hésiter, une lieutenance dans le régiment de Werstein, au service de sa majesté czarienne, et s’embarqua [a] pour Archangel, d’où il alla ensuite à Moscou. Comme il était bien fait de sa personne, qu’il avait la physionomie heureuse, qu’il était hardi et entreprenant, généreux et désintéressé, parlant d’ailleurs assez bien quatre ou cinq langues différentes, il ne fut pas long-temps dans cette capitale sans s’y faire connaître à plusieurs officiers et autres personnes de distinction. Il gagna en particulier l’affection de M. Horn, résident de Danemarck, et celle de divers princes et boyars. Peu après[b] il obtint une compagnie d’infanterie, et, songeant à se fixer en ce pays-là, il se maria en 1678, avec la fille du colonel Souhay. En 1683, il fut fait major, ensuite lieutenant colonel. Sa majesté czarienne reconnaissant en Lefort plusieurs belles qualités, et surtout un parfait attachement à son service, lui confia en 1685 le commandement des troupes et de l’artillerie pour une expédition [c] considérable. En 1696, il eut la conduite du siége d’Azoph[d] ; et dans cette occasion il donna des preuves si éclatantes de son habileté dans l’art militaire, que sa majesté czarienne dès lors l’estima beaucoup, le choisit pour son favori, lui remit la direction des affaires les plus importantes, et l’éleva enfin à un si haut faîte de grandeur et de gloire, qu’il lui donna le commandement général de toutes ses troupes, tant sur mer que sur terre, l’honora de la vice-royauté de Nowogorod, et le fit son premier ministre d’état, avec la qualité d’ambassadeur et plénipotentiaire dans toutes les cours étrangères[e]. Jamais fortune n’a été plus rapide que celle de ce général. Il a joui de tous ses titres et honneurs jusqu’à sa mort, qui arriva à Moscou le 12 de mars 1699. Le czar, pénétré de la perte de ce fidèle et zélé ministre, donna une preuve bien authentique de l’estime qu’il en faisait en ordonnant lui-même ses obsèques, et les honorant de sa présence. Elles se célébrèrent le 21 du même mois, avec tous les honneurs imaginables[f]. Henri Lefort son fils, capitaine de la première compagnie des gardes du czar, aurait sans doute marché glorieusement sur les traces de son père, si la mort ne

  1. Le 25 juillet 1675.
  2. Au commencement de 1677.
  3. Pour s’opposer aux irruptions que les Tartares faisaient dans le pays.
  4. Le siége commença le 2 juin et finit le 20 juillet de la même année, que la place se rendit après une défense des plus vigoureuses. Le czar Pierre Alexiowitz se trouva en personne à ce siége, et y donna des marques d’une intrépidité tout héroïque.
  5. Il y avait à la tête de cette célèbre ambassade de Moscovie, dans les principales cours de l’Europe, en 1697 et 1698, trois ambassadeurs. Le général Lefort était le premier ; Théodore Alexiowitz Golowin, commissaire général des guerres et vice-roi de Sibérie, allait après ; et le troisième était Procope Bogdonowitz Wotznicin, chancelier du conseil privé, vice-roi de Bolchou. Ils partirent de Moscou avec une suite de près de trois cents personnes au mois de mars 1697, et furent de retour à Moscou vers la mi-septembre 1698.
  6. On en voit une relation très-curieuse dans le Mercure historique du mois de mai 1699.