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ACHILLÉA.

rent, après ce qu’on débitait dès le temps d’Antigonus Carystius, qu’on ait attendu jusqu’à Solin à débiter que les oiseaux s’enfuyaient à la vue du temple d’Achille. Quoi qu’il en soit, on ne pourrait pas prouver, par Pline contre Solin, que les oiseaux y entrassent ; et, en tout cas, M. Moréri fera dire à Pline plus qu’il n’a dit, et se sera laissé tromper par ces paroles de Charles Étienne dans les deux éditions ci dessus cotées[1], Achillis insulam nulla avis transvolat. Plin. 10. 29. 10. Mais il prendra sa revanche avec usure sur M. Hofman, qui attribue la même chose à Strabon aussi. C’est sans doute pour avoir vu que M. Moréri citait Strabon immédiatement après Pline, et pour n’avoir pas pris garde que cette citation de Strabon, avec celle de Pomponius Mela, qui la suit, se rapporte à d’autres choses contenues dans l’article. Nullam hìc avem volare, (dit-il) Plin. l. 10. c. 19. habet et Strabo, l. 13[2]

(G) Un article à part d’une fontaine Achillée. ] Cet article m’avait paru d’abord un sujet à critiquer : il me semblait que cette fontaine ne s’appelait pas ainsi en nom propre substantif ou substantifié ; mais, en épithète ou en nom adjectif, commun à toutes les choses qui appartiennent à Achille. En un mot, fons Achilleus, et fontaine d’Achille, me semblaient la même chose. Or, comme il serait ridicule de faire un article de Jacobée pour cette fontaine de Jacob dont il est parlé au chapitre IV de saint Jean [3], laquelle un traducteur latin pourrait appeler, s’il voulait, fontem Jacobœum, il me semblait aussi qu’on n’en devait pas faire un de l’épithète d’Achilleus, dont Freinshemius se sert en parlant de la fontaine d’Achille. Mais, après avoir consulté Athénée[4], j’ai trouvé que cette critique serait douteuse, parce qu’il m’a paru qu’on peut mettre en contestation si cette fontaine s’appelait Ἀχίλλειον substantivement ou adjectivement, et si elle ne peut pas entrer en son ordre alphabétique avec autant de raison que les îles d’Achilléa. Elle y entre dans le Trésor géographique d’Ortélius [5], sous le mot Achillœum, et puis sous le mot Achillius fons ; ce qui, en tout cas, vaut mieux que l’Achillea, fons Mileti, de M. Hofman.

Je n’examine point si Freinshemius a bien expliqué le passage d’Athénée qui regarde les singularités de cette fontaine[6]. Je me contente de dire qu’au moins on devait citer Athénée comme Freinshemius l’a cité, c’est-à-dire au VIe. chapitre, et non au IIe. du IIe. livre. M. Hofman cite comme M. Moréri, et ils avaient été précédés en cela par Ortélius. C’est peu de chose si on le compare avec l’erreur de nous donner Aristobule, fils de Cassander, au lieu d’Aristobule natif de Cassandrie. C’est ce que fait M. Moréri.

On ne saurait trop se plaindre de la négligence de ceux qui font des additions aux dictionnaires ; car bien souvent ils y cousent des choses qui sont contraires à celles qui y sont déjà ; et, en général, ils oublient d’accommoder de telle sorte l’addition au fond sur quoi ils la posent, qu’il n’en résulte point de dissonance :

Primo ne medium, medio ne discrepet imum[7].


Par exemple, ceux qui ont augmenté le dictionnaire de Charles Étienne, n’ont point fait difficulté d’y fourrer, sous le mot Achillea, ces paroles d’Ortélius toutes crues et sans le moindre changement : Video à Nebrissensi Caceariam, et à Carolo Stephano Cacariam in suis dictionariis poni, sed pro Ponti insulâ, quam dicunt apud Melam Collisaria dici, ex depravatâ fortè lectione, etc : ce qui fait un sens assez singulier ; car c’est faire parler Charles Étienne de son propre dictionnaire dans le dictionnaire même, comme si c’était un autre ouvrage qu’il citât : et encore paraît-il incertain en se citant de ce qu’il avait avancé sans nulle marque d’incertitude dans l’endroit qu’il cite.

(H) L’abondance est ici plus nuisible

  1. Dans la remarque (L) de l’article Achille, vers le milieu.
  2. Hofman. Voce Achillea.
  3. Ceux qui traduisent, il y avait là une fontaine de Jacob, feraient mieux de dire, la fontaine de Jacob était là ; ou, comme le Port-Royal, il y avait là un puits qu’on appelait la fontaine de Jacob.
  4. Ἐν Μιλήτῳ κρήνην εἶναι Ἀχίλλειον καλουμένην. Athenæus, lib. II, cap. VI,
  5. Edit. Hanov. ann. 1611, in-4.
  6. Freinshem. Supplem. in Q. Curt. 2, 7, 24.
  7. Horat. de Arte poët. vs. 152.