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ACHILLÉA.

retrouva assez plus forte que la bridde, si que se cabrans ils rebondirent en arrière, estimans que ce qu’ils portoient sur leur dos fust une charge extraordinaire et estrange ; et à guise de bestes sauvages se retournèrent contre leurs cavalcatrices, les jettans par terre et foullans aux pieds, les creins hérissez de la furie où ils estoient et les oreilles dressées encontremont, ainsi que de cruels lyons les desmembroient à belles dents et leur dévoroient bras et jambes, faisans un fort piteux carnage de leurs entrailles. Après donques qu’ils se furent saoullez de cette chair, ils se prindrent à bondir et à galopper à travers l’isle, pleins de rage et forcenerie, et les babines teintes de sang, tant qu’ils parvindrenl au hault d’un cap, d’où descouvrans la marine applanie en bas, et cuiddans que ce fust une belle large campaigne, ils s’y jettèrent à corps perdu et ainsi périrent. Quant aux vaisseaux des Amazones, un impétueux tourbillon de vents estant venu donner à travers, d’aultant mesmes qu’ils estoient vuiddes et destituez de tout appareil pour les gouverner, ils venoient à se froisser l’un contre l’autre, ny plus ny moins qu’en quelque grosse rencontre navalle, dont ils se brisoient et mettoient à fonds, spécialement ceux qui estoient investis et choquez en flanc de droit fil par les esperons et proues des autres, comme il advient ordinairement en des vaisseaux desgarnis de leurs conducteurs, de manière que le bris de ce naufrage se venant rencontrer vers le temple où il y avoit force personnes à demy-mortes respirantes encore, et plusieurs membres horriblement dispersez cà et là avec la chair que les chevaux inaccoutumez à telle pasture avaient rejettée, ce lieu sainct devoit estre bien prophané : mais Achilles l’eut bientost purgé, réconcilié et expié comme il estoit aisé à faire en une isle de si peu d’estenduë où les flots battoient de toutes parts à l’environ, si qu’Achilles y ayant attiré le sommet des ondes, tout fut lavé et nettoyé en moins de rien.

(F) Celui qui concerne le vol des oiseaux. ] Ce que Moréri fait dire à Pline, qu’on n’y voit point voler d’oiseau, est mal rapporté. Voici les paroles de Pline : Perdices non transvolant Bœotiæ fines in Atticâ, nec ulla avis in Ponti insulâ quâ sepultus est Achilles, sacratani ei œdem[1]. C’est-à-dire, les perdrix ne volent pas au delà des frontières de la Béotie dans l’Attique, ni aucun oiseau ne vole au delà du temple d’Achille, qui est dans une île du Pont-Euxin. M. de Saumaise prétend qu’il faut entendre par ces paroles qu’aucun oiseau n’élevait jamais son vol au-dessus de ce temple ; et il prouve, par un passage d’Antigonus Carystius, qu’on débitait cela anciennement[2]. Et comme d’ailleurs il prouve, par un passage formel d’Arrien, que les oiseaux, entraient dans ce temple tous les matins, afin d’y faire tomber l’eau dont ils s’étaient mouillé les ailes, et afin de balayer ensuite le temple avec leurs ailes[3], il insulte Solin, pour avoir dit qu’aucun oiseau n’entre dans le temple d’Achille, et que s’il arrive à quelqu’un de s’en approcher, il s’en éloigne au plus vite tout aussitôt. M. de Saumaise veut que Solin n’ait rien qu’il n’ait emprunté de Pline, et que celui-ci ait dit la même chose qu’Antigonus Carystius ; mais il est plus vraisemblable que Pline n’a point eu en vue la pensée d’Antigonus Carystius, et que Solin avait lu ce fait ailleurs revêtu de circonstances plus particulières que celles de Pline. Car quelle négligence ne serait-ce point à ce dernier, si, pour nous faire connaître que les oiseaux ne volaient jamais au-dessus d’un temple, il s’était servi d’une expression qui signifie qu’ils ne volaient jamais au delà ? Ces deux choses sont si peu la même, qu’il n’y a rien de plus aisé que de ne passer jamais par-dessus une maison, et néanmoins de la laisser derrière soi. Il n’est pas plus difficile de s’élever en volant jusqu’au-dessus d’une maison, sans passer plus outre. De plus, les anciens aimaient si fort à diversifier les miracles, qu’il n’est guère appa-

  1. Plinii Hist. Nat. lib. X, cap. XXIX.
  2. Salmas. Exercit. Plinian. in Solin. cap. XIX, pag. 215.
  3. In Periplo Ponti Euxini. Philostrate a dit à peu près la même chose. En celle isle, (selon la traduction de Vigénère, tom. II, folio 337, verso de l’édition in-4.), il y a certaine engeance d’oiseaux tous blancs, mais aquatiques et sentans leur marine, dont Achille se sert à nestoyer son sacré bosquet, le ballians de l’éventement de leurs aisles, et l’arrousans de leur pennage mouillé d’eau de mer ; car ils volletent pour cest effect un bien peu soubslevez de terre.